→ CINÉMA

LA VOIX ROYALE

jonone1 280

jonone2 280 Sophie Vasseur (convaincante Suzanne Jouannet)jonone3 280Sophie et Diane montreront-elles la couleur de leurs dessous?
03 voieroyale la pression des colles
La pression des colles, ces examens oraux...
06 voieroyale pression terrible dexamens à répétition
Et des examens à répétitions...
07 voieroyale malgré tout fierté dappartenir à lélite
Malgré tout, fierté d'appartenir à l'élite et de maîtriser doucement ses codes...
Sophie et Hadrien
Sophie et Hadrien (avec un H, comme le roman de Marguerite Yourcenar)




LE LONG CHEMIN DE SOPHIE ...

Texte: Valérie Valkanap


Quelle finalité aux grandes écoles?

LA VOIE ROYALE, de Frédéric Mermoud, (F.,CH, 2023, 1h40)

Sur les écrans suisses alémaniques, à partir du 2 mai 2024.

En présence du réalisateur:
le dimanche 28 avril au Riffraff, à 21h, à Zurich
le lundi 29 avril à 18h à Bienne. au cinéma Rex
le lundi 29 avril à 20h à Berne, au cinéma Movie 1


→ PRINT


Sophie Vasseur, est fille d’éleveurs. Ses parents sont propriétaires d’une petite exploitation agricole dans le Rhône. Elle vient de décrocher son bac avec une excellente note en maths. Son professeur l’encourage à demander une bourse et s’inscrire à Descartes, l’école préparatoire aux grandes écoles de Lyon. Pour faire quoi? Elargir ses choix de vie future en intégrant une école normale supérieure ou une d’ingénieurs... Sophie clique sur Polytechnique et constate que des hommes illustres en sont sortis, tel l’ancien chef d’Etat Giscard d’Estaing. Comment ne pas s’emballer à l’idée d’une carrière dans le feu des projecteurs?

QU’EST-CE QU’UNE ÉCOLE PRÉPARATOIRE AUX GRANDES ÉCOLES?
Officiellement, c’est une école qui fournit une formation solide, théorique autant qu’expérimentale, aiguisant rigueur du raisonnement et efficacité des méthodes de travail. Dans la pratique, dès l’entrée, les maths Spé ancrent chez les nouvelles taupes l’idée qu’ils font désormais partie d’une élite au sein de laquelle l’esprit de classe ne doit jamais être perdu de vue. «C’est ici que vous constituez votre réseau pour la vie» souligne le directeur dans son discours de bienvenue. Sophie quitte sa ferme pour s’installer à l’école Descartes dans l’espoir qu’elle lui ouvrira une voie royale à … quoi exactement? A défaut de la vocation, c’est l’ambition qu’on titille. Rares sont les étudiants ayant un projet personnel. La plupart s’excitent à l’idée d’un poste en vue, bien rémunéré, conférant du pouvoir. Pour cela, ils sont prêts à tout.

PAR QUOI FAUT-IL EN PASSER AVANT? Ça commence rudement avec 300 pages de polycopiés à travailler (digérer) en vue de la première «colle» dirigée par l’impitoyable Madame Fresnel (Maud Wyler). Celle-ci attend qu’on lui recrache son cours, mais en mieux (il lui faut des solutions «élégantes»). Les élèves doivent se fondre dans le moule et travailler 70 heures par semaine. Bientôt c’est l’enfer des «concours blancs» pour mettre les candidats «en situation». Sous pression, Sophie perd ses moyens. Elle se fait dire qu’elle n’a pas le niveau et se sent «comme une merde». S’accrocher en vaut-il la peine? Son amie Diane (Marie Colomb), pourtant plus douée qu’elle, ne le pense pas.

MILIEU SEXISTE, ÉLITISTE ET FERMÉ. A la pression s’ajoute le sexisme ordinaire des milieux élitistes et fermés. Ancré dans les bonnes vieilles traditions, le bizutage s’avère toujours aussi primaire: les élèves y doivent, entre autres, montrer la couleur de leurs sous-vêtements. Plus tard, Sophie, ayant remporté la première place d’un concours de beuverie, gagne le droit… de retirer son T-shirt. Garnissez d’un zeste de mépris de classe pour les boursiers (lesquels, accorde-t-on avec condescendance, préservent un semblant de «mixité sociale») et vous obtiendrez la sauce à laquelle on consomme la jeune et vive intelligence de la nation. Pourtant, il doit bien être possible de changer cet état d’esprit datant d’une autre époque, non?

VOUS AVEZ LE DON DE CHANGER LE MONDE, clame un panneau à l’entrée de l'école. Hadrien Loiseau (Lorenzo Lefebvre), sous des dehors tête à claque, rêve de construire des éoliennes. C’est pour cela qu’il veut intégrer l’école des Mines. C’est ce genre d’ambition qu’il faudrait pouvoir préserver et encourager, histoire de promouvoir les innovations dont le pays a besoin. Il se peut que Fresnel, qui exhorte Sophie à prendre de la hauteur (être «moins scolaire», plus inventive), vise ce but. Cependant, hors contexte concret, on ne voit pas comment cette méthode aurait une chance de faire progresser les jeunes cerveaux. Va-t-on laisser le monde continuer à marcher au profit ou permettra-t-on aux esprits innovants rétifs au moule de le transformer «de l’intérieur»? Il vaut la peine d’y réfléchir.

Ce film donne à voir, sous de multiples facettes, la façon dont on transforme un brillant étudiant en bête à concours, tout en lui faisant perdre rapidement le sens de la réalité. Une prise de conscience salutaire mais hélas non suffisante, à elle seule, à renverser les valeurs d’un ordre bien établi.

VV 7.04.24. Complété le 16 avril 2024