→ AUTRES

RIRE SANS EN MOURIR

Je-suis-Charlie-Chappatte-349748 480x347

 wr

Merci à Globecartoon de nous avoir donné les droits de publier ces deux dessins!


RIRE SANS EN MOURIR

Texte: France Amerongen


«Aux larmes ou aux âmes, citoyens, qu’aucun sang, pur ou impur, n’abreuve plus jamais nos chers sillons!»

A lire aussi le récit de la manifestation de Paris vue de l'intérieur par Corinne Roy et notre petit mot sur Nous sommes Charlie à Zurich


→ PRINT


UNE MARCHE INDIGNÉE
Le peuple s’est levé et mis en marche, une marche indignée mais digne et pacifique. C’est le peuple des gens de bonne volonté, capables de mettre le bien collectif au-dessus de leurs intérêts personnels, au moins le temps de ce magnifique dimanche.
Cet élan spontané s’est moins insurgé CONTRE le terrorisme, le jihadisme, le fanatisme et autres intégrismes qu’il s’est exprimé POUR la liberté (de la presse), la démocratie, la tolérance, la solidarité et la fraternité. C’est assez rare pour le souligner.

QUELS SONT DONC LES PIÈGES À ÉVITER, pour que cette vague de solidarité ne retombe pas dans un marasme généralisé?
Gare à la récupération et gare à l’autosatisfaction, aux amalgames (souvent dénoncés) et à l'effet marketing (moins repéré)! Dimanche, j’étais Charlie, dans l’ivresse de la bienveillance et de la solidarité de millions de sympathisants en France et dans le monde. Quel bien-être de se sentir du bon côté! Mais je ne dois pas me voiler la face, sans mauvais jeu de mots: je suis Charlie, mais aussi politicien, flic, assassin, bref, tous les acteurs du drame sommeillent en moi. Si je ne les débusque pas, je risque de me réveiller avec une terrible gueule de bois.

LE PREMIER ENNEMI à combattre n’est pas l’Autre, mais l’autre en moi, lui aussi capable du pire.
Je dois donc impérativement me demander en quoi je suis moi aussi fanatique, raciste, intolérante: il est trop facile de s’identifier aux victimes pour éviter de reconnaître la présence du bourreau en soi. Je dois affronter ce qui en moi crée journellement des mini-drames, relevant de la même tendance destructrice. Seule cette prise de conscience m’évitera de projeter sur un bouc émissaire mes mauvais penchants.

DANGERS EXTÉRIEURS OU INTÉRIEURS...
Qui ne souhaite éliminer celui qui le gêne, au mieux en le fuyant, au pire en l’abattant? Les politiques nous parlent beaucoup de vigilance, mais de quelle vigilance s’agit-il? Il faut avoir l’œil sur tout ce qui pourrait représenter un danger «extérieur» pour soi-même et les siens. Mais il ne faut surtout pas perdre de vue les dangers «intérieurs» que sont nos démons indomptés.
Quelle est donc l’origine profonde de cette force destructrice qui peut s’emparer de quiconque? Je ne prétends pas avoir la réponse. Un élément cependant : N’y a-t-il pas confusion dans l’esprit des meurtriers entre le symbolique et le concret, frontière que les totalitarismes de tout bord, comme les sectes, tentent d’effacer?

UN MALENTENDU
L’équipe de Charlie Hebdo a toujours illustré sa verve, avec plus ou moins d’élégance et de bon goût, sur un mode satirique et surtout symbolique: humour, jeu de mots, critique, caricatures. C’est la liberté d’expression. Les assassins, eux, prennent les symboles au pied de la lettre, crient au blasphème et s’octroient le droit d’exécuter sans états d’âme les «mécréants». C’est un crime. Les lois de la démocratie, qui ont elles-mêmes fait couler tant de sang, sont bafouées tout comme le respect le plus élémentaire de la vie. C’est le pire des malentendus, cependant fréquent, même si les conséquences en sont généralement moins graves.

AUX LARMES CITOYENS
L’Assemblée nationale, faisant une minute de silence puis chantant à l’unisson la Marseillaise, fut le point d’orgue à ce dimanche fédérateur. Elle a donné un exemple touchant de ce que pourrait être une réconciliation. L’atrocité des paroles vengeresses de notre hymne national m’a fait cependant mal aux oreilles. J’aimerais chanter: «Aux larmes ou aux âmes, citoyens, qu’aucun sang, pur ou impur, n’abreuve plus jamais nos chers sillons!». La pire folie est de vouloir avoir raison et d’infliger cette «raison» aux autres.
PS: La gueule de bois prévisible se fait déjà sentir. Qui détermine la frontière entre satire et incitation à la haine? Entre le bien et le mal? Notre gouvernement serait-il en passe de s’arroger ce droit? Vais-je être arrêtée parce que je prétends être potentiellement criminelle ou parce que je suggère d’autres paroles à notre hymne national?

UNE OCCASION... RATÉE?
La une de Charlie Hebdo ne me fait, hélas, pas rire du tout. Le message ambivalent met de l’huile sur le feu d’un contexte à haut risque. Je dois manquer du sens de l’humour, en plaçant le sens des responsabilités au-dessus du rire. L’arrestation de Dieudonné, tout comme cette caricature inadéquate, en renforçant les fronts, vont alimenter le champ paranoïaque que j’avais cru désamorcé, en ce beau dimanche. Quelle occasion inespérée... ratée!

(FA - 15/01/2015)