→ ART/MUSÉES

LA TRANSPARENCE À L'ORDRE DU JOUR

Bild1 August Macke Gartenrestaurant
August Macke - Gartenrestaurant, 1912
Öl auf Leinwand, 81 x 105 cm- Hermann und Margrit Rupf-Stiftung, Kunstmuseum Bern

Bild3 Ernst Ludwig Kirchner Alpsonntag
Ernst Ludwig Kirchner - Alpsonntag. Szene am Brunnen, 1923–1925 Öl auf Leinwand, 168 x 400 cm Kunstmuseum Bern

Bild11 Pablo Picasso Buveuse assoupiePablo Picasso - Buveuse assoupie, 1902
Ölfarbe auf Leinwand, 80 X 60,5 cm -
KunstmuseumBern, dépôt-prêt Fondation Othmar Huber


L'ART «DÉGÉNÉRÉ» AU MUSÉE DES BEAUX-ART DE BERNE

Texte: Valérie Lobsiger


La transparence à l’ordre du jour en matière d’œuvres d’art muséales

Maîtres de l’art moderne. L’art «dégénéré» au Musée des beaux-arts de Berne, à voir jusqu’au 21 août 2016

En savoir plus, le site du musée


→ PRINT


LE MUSÉE DES BEAUX-ARTS DE BERNE FAIT D’UNE PIERRE DEUX COUPS: poussé par le legs controversé du collectionneur Cornelius Gurlitt, il se lance dans une vaste entreprise de recherche de provenance des œuvres qu’il possède, ceci afin d’éclaircir définitivement tout doute de spoliation commise durant la période nationale-socialiste. Par la même occasion, le curateur Daniel Spanke nous offre une exposition fort instructive, extrêmement bien documentée et de toute beauté sur l’art dit «dégénéré». Dégénéré? Le national-socialisme qualifia ainsi les œuvres d’artistes juifs ou soumises à des influences «juives» ou «bolchéviques» (celles de Paul Klee, Ernst Ludwig Kirchner, Otto Dix ou encore Johannes Itten en font par exemple partie). Une loi promulguée en 1938 légitima après coup les saisies déjà opérées en 1937 (soit près de 20’000 œuvres de plus de 1’400 artistes) auprès des musées allemands (80 concernés). Des dizaines de milliers d’œuvres furent ainsi confisquées et soit mises en vente dans le but implicite de fournir des devises afin de financer l’armement, soit détruites. Les 70 œuvres présentées par l’exposition le sont chronologiquement en fonction de leur date d’entrée dans la collection du musée et ce dès 1933, année à partir de laquelle le national-socialisme fut imposé comme doctrine d’Etat en Allemagne. On peut notamment admirer sept œuvres détenues autrefois par des musées allemands, confisquées à partir de 1937 par le 3e Reich et acquises pour six d’entre elles auprès de la Galerie Fischer à Lucerne. Il s’agit de Buveuse assoupie de Pablo Picasso, Blaues Pferd II de Franz Marc, Gartenrestaurant d’August Macke, Waldinneres mit Vogel (Taube) de Franz Marc, Dünen und Meer, Fehmarn de Ernst Ludwig Kirchner, Selbstbildnis de Lovis Corinth et de Liegende Kuh d’Ewald Mataré, une sculpture en bois précieux d’amarante. Les autres œuvres montrées à l’exposition font partie des 525 œuvres de la collection du musée dont les auteurs furent dénigrés par le régime nazi. Nouveauté de taille: leur traçabilité est mentionnée à côté du tableau, sous le titre et l’année de réalisation.

L’EXPOSITION ENCHANTE PAR SA DIVERSITÉ. En sanctionnant l’art «dégénéré», les nazis visaient en réalité l’art moderne dans son ensemble. En effet, l’art s’étant progressivement affranchi de toute règle, il affichait une insolente prolifération de sujets, techniques et moyens nouveaux qui dérangeaient les autorités ainsi dépossédées de leur pouvoir de contrôle. On frémit à la consultation du guide (intelligemment mis à disposition du visiteur sur une tablette qu’on feuillette tel un livre) de l’exposition «Art dégénéré» qui fut hâtivement conçue en 1937 pour bassement désigner à la vindicte populaire 650 œuvres soi-disant infâmes. Jamais volonté d’anéantissement de l’art n’avait été rendue plus palpable. Et on soupire d’aise à la vue de toutes ces tableaux sauvés in extremis du péril de destruction dans des ventes aux enchères ayant eu lieu … en Suisse, opportunément voisine de l’Allemagne, neutre, dotée d’une devise convertible et disposant d’une clientèle potentiellement fortunée et internationale. Grâce à des acquisitions réalisées au fil des ans, non seulement par le musée des beaux-arts de Berne mais également par des fondations (Hermann et Margrit Rupf, Othmar Huber, Anne-Marie et Victor Loeb), associations (Les Amis du Musée des beaux-arts de Berne, la Bernische Kunstgesellschaft), legs (Georges F. Keller) ou donations (Nell Walden, Thannhauser), on a ainsi le plaisir de contempler, entre autres merveilles, une Femme à la lecture de Vallotton, un autoportrait de Cézanne, un autre d’Albert Müller, une allée de jardin à Rueil de Manet, le Gartenrestaurant d’Auguste Macke (dont un détail constitue l’affiche), un paysage de Martigues et les Alpes de Derain, un Mondrian, deux Van Gogh, un Modigliano, un Matisse (la fameuse Blouse bleue), des œuvres de Picasso (dont une femme assise en bleu et rose au visage superbement désagrégé par la lumière), Kirchner, Jawlensky, Klee, Kandinsky…  Comme le résume bien Daniel Spanke, qui a le feu sacré, «on ne peut définir l’art avant de l’avoir vu». C’est ce que démontre avec brio cette exposition qu’on trouvera, rien que pour cette raison (mais, on l’aura compris, il en existe bien d’autres), réconfortante.
VL.