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ILO ILO, UN FILM D'ANTHONY CHEN

Coup ilo ilo affiche

Coup ilo ilo 1

Coup ilo ilo 2


DES IMPÉRATIFS ÉCONOMIQUES INHUMAINS

Texte: Valérie Lobsiger


Caméra d'or au festival de Cannes 2013

Depuis le 5 juin sur les écrans de suisse alémanique


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Une société où la violence règne à tous les échelons : à l’école, où le jeune Jiale (Koh Jia Ler) se fait taper par son maître avec une règle, au bureau où sa mère (Yeo Yann Yann), enceinte au plus haut point, doit faire le dos rond en face d’un chef despotique et coléreux, au bureau encore où son père (Chen Tianwen) qui vante le verre incassable de son entreprise, se fait licencier parce qu’un prospect a réussi à briser ledit verre, et à la maison enfin où l’enfant se ramasse des taloches pour un oui, pour un non par des parents dont le seul souhait est la réussite scolaire de leur rejeton. Le père, sans considération pour le travail domestique de son épouse qui rentre épuisée de son travail, pisse exprès à côté de la cuvette des WC. La mère se croit tous les droits sur plus faible qu’elle, en l’occurrence Teresa (expressive Angeli Bayani) l’employée de maison philippine qu’elle embauche, parce qu’elle est débordée, pour s’occuper et du gamin rebelle et du ménage.

Pas étonnant que tout aille de travers quand la violence se répercute ainsi en cascade. Quel modèle, quels repères un enfant de dix ans peut-il trouver pour grandir dans un environnement où les relations humaines sont fondées non sur le respect et la confiance mutuels, mais sur la peur ? Il n’a le choix qu’entre la soumission, la fuite ou la révolte. Équipé d’un Tamagotchi dont il ne se sépare jamais (on entend à tout instant les bips agaçants de ce jeu électronique), Jiale est indiscipliné à l’école et tyrannique à la maison (il impose par exemple sa présence dans le lit de ses parents épuisés par le travail). A l’arrivée de la boniche étrangère, il la couvre de mépris et la maltraite cruellement jusqu’au moment où il comprend qu’elle éprouve vraiment de l’affection pour lui. Il n’y a qu’à voir sa figure tristounette le jour de son anniversaire pour comprendre qu’il aspire à autre chose qu’à une enveloppe contenant des billets…

Dans ce premier film ayant remporté la caméra d’Or à Cannes l’année dernière (où il a été gratifié de 15 mn de «standing ovation»), Chen montre par petites touches successives (renforcées, durant quelques secondes à peine, par des écarts de caméra surréalistes qui font se demander au spectateur s'il a ou non rêvé) l’état de délabrement avancé d’une société uniquement axée sur le rendement et le succès économique dans une ville-état qui ressemble plus à un régime totalitaire qu’à une démocratie (cf les récitations des écoliers qui jurent de construire une «démocratie fondée sur la justice et l’égalité»).

A quoi reconnaît-on une société en crise? Lorsque les individus cessent d’espérer s’en sortir par leur travail et commencent à jouer à des jeux d’argent pour décrocher le gros lot ? Tel le père qui a perdu la face en même temps que son travail, n’a rien dit à sa femme et s’est mis en cachette à jouer les économies de la famille en bourse. L’enfant, lui, est obsédé par les combinaisons gagnantes récurrentes aux jeux de hasard tel que le loto. Il les note dans un cahier dont il ne se sépare jamais. La mère, elle, ne joue pas mais, à la recherche d’un réconfort moral, se fait plumer (achat d’une méthode complète, livres, cassettes et DVD) par un charlatan qui promet la réussite pour peu que l’on «croie en soi». Pour finir, il n’y a que Terry, 28 ans, qui tient bon, même si, tout au bas de l’échelle sociale et à ce titre la plus démunie, elle n’a d’autre choix que de subir la pression qui s’exerce sur elle. Elle est en effet obligée de travailler à n’importe quels prix et conditions parce que les siens restés au pays comptent sur elle pour les nourrir… On éprouve compréhension et empathie pour chacun des protagonistes forcés de vivre dans une société si peu humaine qu’on s’y suicide fréquemment (un voisin se jette d’ailleurs du haut de l’immeuble pendant que Terry pend le linge de la maisonnée). A l’heure du toujours plus de résultat en toujours moins de temps, cette tranche de vie d’une famille asiatique donne à réfléchir.

Eigentlich ein Paradox: ein wunderschöner Film über das unerträgliche Leben einer asiatischen Kleinfamilie, das durch Lieblosigkeit und Gewalt geprägt wird. Aber dem Singapurer Regisseur Anthony Chen gelingt es in «Ilo, Ilo», für den er in Cannes mit der goldenen Kamera bedacht wurde, das Leben des 10-jährigen Jiale und seiner Eltern nicht als persönliches Versagen darzustellen, sondern als Folge von gesellschaftlichen und politischen Umständen. Das macht nachdenklich.