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LA VIE D'À CÔTÉ

VIEDACOTE

 

 


ÊTRE NÉE LAIDE EST UNE MALEDICTION

Texte: Valérie Lobsiger


ROMAN
La vie à côté, de Mariapia Veladiano
Traduit de l’italien par Catherine Pierre-Bon
Editions Stock, La Cosmopolite, août 2013,
212 p.


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ÊTRE NÉE LAIDE EST UNE MALÉDICTION : le droit d’exister vous est dénié. D’abord parce que, vis-à-vis de vos parents, vous avez l’impression de devoir vous faire pardonner «la déception de (votre) naissance», même s’ils s’efforcent de vous aimer et de vous protéger. Et puis, quand vient l’âge de se sociabiliser, les autres, pires qu’un miroir, se chargent de vous rappeler cruellement que vous offensez leur vue. A une époque telle que la nôtre où l’apparence joue plus que jamais un rôle déterminant pour appartenir à un groupe, il ne fait pas bon détonner. L’histoire déchirante (mais non larmoyante) de Rebecca (qui, humiliation suprême,  signifie en hébreux «la femme qui plaît aux hommes») est édifiante: elle met en lumière ce qui reste d’habitude plus ou moins tapi au fond de chaque être humain, à savoir sa très laide malveillance. Mais pas seulement.

SE TENIR À L’ÉCART DE LA SOCIÉTÉ n’est jamais la solution lorsqu’on est né avec un handicap quel qu’il soit, visible ou non. C’est pourtant ce que tente de faire le plus longtemps possible la famille de Rebecca, dont le père est médecin, la tante pianiste et la mère plongée dans la dépression depuis la naissance de sa fille. La tante l’emmène se promener à la nuit tombée au lieu de l’habituer au regard des autres. Se faisant, elle lui fait bien passer le message que quelque chose cloche avec elle. Comment, avec un tel sentiment, acquérir la confiance en soi qui seule pourrait aider l’enfant à ne pas subir l’hostilité que sa seule vue provoque?

TEL UNE PLANTE QUI CHERCHE LA LUMIÈRE, l’homme aspire à l’accomplissement. Si une capacité lui fait défaut, il tente de compenser son absence en en développant d’autres. Lorsqu’il ne peut sentir le bien-être dans son corps, il cherche souvent d’autres voies de réalisation. C’est comme si s’ouvrait pour lui le chemin d’une quête spirituelle précoce. Rebecca, initiée au piano par sa tante, découvre ainsi très tôt que la musique est pour elle un merveilleux moyen d’exister en dehors ou «à côté» d’elle-même, de se débarrasser un temps du fardeau de sa laideur («la grâce d’oublier mes formes»). Comme le lui fait remarquer Maddalena, employée de maison qui chouchoute l’enfant, «c’est ton cadeau du ciel à toi, il y en a qui n’ont même pas ça pour s’en sortir». Elle s’accroche donc à ce don de toutes ses forces.

LE POIDS DU NON-DIT LIGOTE UN ENFANT plus sûrement encore qu’un handicap. A sa laideur constatée (mais non encore assumée), étalée aux yeux de tous au plus tard le jour de son entrée à l’école, s’ajoute pour Rebecca un sentiment accablant de culpabilité dû à un pesant secret de famille. Elle se tient en effet responsable de la dépression de sa mère. C’est en pénétrant dans la chambre de celle-ci longtemps après son suicide, qu’elle va découvrir lentement la vérité, aidée en cela par la mère de son professeur de musique. Délivrée de cette souffrance psychique, elle va pouvoir s’accommoder de son aspect en s’aménageant une vie, certes quelque peu en retrait, mais non dépourvue d’attraits.
01.09.2014