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JUSQU'À LA GARDE

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CHRONIQUE D'UNE HAINE FAMILIALE

Texte: Valérie Lobsiger


«JUSQU’À LA GARDE»

UN FILM DE XAVIER LEGRAND
Prix du meilleur premier film à la Mostra de Venise

Sur les écrans à partir du 6 septembre

(FR, 2017, 93 mn)

En allemand:« Nach dem Urteil»


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METTRE JUSQU’À LA GARDE ça veut dire transpercer l’autre d’un bout à l’autre et ça évoque pour moi la pénétration brutale d’une femme. Avec la traduction allemande du titre: «Nach dem Urteil» (après le jugement), nos amis suisses alémaniques ne risquent pas de tilter. La portée du sujet pourrait donc leur échapper complètement. S’il est certes question dans ce film de parents qui se disputent la garde d’un gamin de onze ans, cela va bien plus loin que ce que l’on peut de prime abord imaginer. Le bien-être de l’enfant, qui s’en soucie dans l’histoire? Il faut dire qu’au commencement, on n’en sait pas plus que la juge qui, face aux époux (Denis Ménochet, Léa Drucker) figés dans leur haine réciproque, demande: «qui de vous deux ment le plus?»

LA TENSION CONJUGALE EST PALPABLE dès les premières images dans le bureau de la magistrate. Madame est du jour au lendemain revenue vivre chez ses parents, embarquant, au grand dam de Monsieur, leurs enfants: Julien (interprété avec brio par Thomas Gioria) et Joséphine, bientôt majeure. Intransigeante, elle réclame 5000 euros et la garde exclusive du petit. Après avoir donné lecture d’un texte écrit par le garçonnet («je n’ai pas le droit de jouer dans le jardin car maman a peur que l’autre débarque») et écouté les avocats des parties, la juge, convaincue que Miriam remonte les enfants contre Antoine, sursoit à son jugement. Antoine continue donc à venir chercher tous les 15 jours Julien, avertissant à coups de klaxons exaspérés qu’il attend. Au téléphone, Miriam tente de se dérober. Et l’enfant finit chaque fois par monter à contrecœur dans la voiture du père.

ON NE SAIT PAS COMMENT ILS EN SONT ARRIVES LÀ et c’est bien sûr voulu. Les personnages agissent souvent sans qu’on comprenne tout de suite pourquoi, ce qui crée une tension qui va grandissant. Le gamin, qu’on sent crispé à l’extrême, minuscule à côté de son père maous (ah, cette pogne d’ours posée sur le cou de l’enfant, elle en dit long!), fait de son mieux pour apaiser ce type prêt à partir en vrille chaque fois qu’il se heurte au barrage de résistance muette de sa femme. Petit à petit, le portrait du père se précise. Mesquineries («Je t’ai récupéré une heure plus tard, alors je te ramène une heure plus tard»), chantage (il laissera son fils aller à la fête d’anniversaire de Joséphine s’il l’aide à entrer en contact avec sa mère), culpabilité («t’es content de toi?» assène-t-il à Julien parce que le grand-père a fichu Antoine à la porte). Il est vrai que, dans la famille d’Antoine, c’est clairement la loi du plus fort qui s’applique.

Tout en retenant toujours une part d’information, le réalisateur laisse de plus en plus le spectateur déchiffrer la suite subodorée sur les visages. Il faut voir Joséphine (qui ne vit pas non plus dans les meilleurs termes avec sa mère) chanter sur scène lors de sa fête d’anniversaire pour lire dans son regard l’étendue de sa terreur.

C’est extrêmement concis et rendu au plus juste: la peur rendant aphasique, chacun peut passer à côté d’un drame.

(VL_ 30/07/2018)