→ ART/MUSÉES
FRANCIS BACON ET ALBERTO GIACOMETTI
Alberto Giacometti et Francis Bacon, 1965 ©Graham Keen
Alberto Giacometti, «Le Nez», 1947-49 - Fondation Giacometti, Paris - © Succession Alberto Giacometti/2018, ProLitteris, Zurich
Francis Bacon, «Auto-portrait», 1987
Collection privée, New York - © The Estate of Francis Bacon. Tous droits réservés / 2018, ProLitteris, ZurichFrancis Bacon, «Trois études pour portraits (y compris Auto-portrait)», 1969
© The Estate of Francis Bacon. Tous droits réservés / 2018, ProLitteris, Zurich
Photo: Prudence Cuming Associates Ltd.
L'acteur Willem Dafoe lisait le 26 juillet dernier des extraits des réponses des deux artistes aux questions du critique d'art David Sylvester -
© Caroline Minjolle
RENCONTRE FASCINANTE ET INDÉNIABLE PARENTÉ
Texte: Ariane Gigon
L'exposition est à voir à la Fondation Beyeler jusqu'au 2 septembre 2018
En savoir plus
A la fondation Beyeler, une surprenante et fascinante rencontre entre Francis Bacon et Alberto Giacometti
Ils avaient déjà en commun des amis et des réflexions très semblables sur l’art et la place de la figure humaine: ils sont désormais liés par une exposition, qu’ont eu l’excellente idée de monter la Fondation Beyeler de Riehen (BS) et la Fondation Giacometti de Paris. Mais, avouons-le, le rapprochement, premier du genre dans un musée, entre Alberto Giacometti (1901-1966) et Francis Bacon (1909-1992) n’avait, de prime abord, rien d’une évidence. Et pourtant, après la visite, leur parenté artistique ne fait plus aucun doute.
D’un côté: le Suisse, sculpteur maniant des matières grises ou beige aux mille nuances. De l’autre, le Britannique déconstruisant les corps à coups de couleurs rageuses. Dès la première salle, les deux œuvres exposées coupent le souffle: «Le Nez» de Giacometti est une tête suspendue dans une cage. Une tête à la bouche ouverte, un cri silencieux qui ne dit pas son nom. Derrière, dans la même salle, c’est «Head VI» de Bacon, le motif du pape hurlant – une des traces de son obsession pour le «Portrait du pape Innocent X» de Diego Velasquez.
Toute l’exposition – une centaine d’œuvres, dont certaines rarement montrées (il ne faut pas manquer le fascinant «Auto-portrait» de Bacon, datant de 1987, appartenant à une collection privée) – est à l’instar de cette entrée en matière. Les cages, célèbres chez Giacometti, sont tout aussi importantes chez Bacon: elles isolent les figures de leur environnement, permettant à l’artiste de se concentrer sur la représentation de la figure humaine, en deux ou trois dimensions – une obsession chez les deux hommes.
Si les œuvres de Giacometti peuvent sembler moins torturées que celles de son contemporain britannique, l’exposition nous rappelle aussi ses coups de couteau dans les plâtres de moulage, la contrainte des modèles immobiles, l’impression de l’échec qui l’a sans cesse accompagné.
Le critique d’art David Sylvester a interviewé les deux artistes, séparément, sur leur art. Ce lauréat du Lion d’Or de la Biennale de Venise pour une exposition sur Bacon réussit, avec ses questions pointues, à faire entrer le lecteur dans les ateliers des artistes. Il leur demande, par exemple, s’ils travaillent sur la base de modèles vivants ou de photographies ou encore quelle est la bonne distance avec le sujet. Ses textes ont fourni un fil rouge important aux commissaires d’exposition.
La semaine dernière, des extraits des interviews ont été lus à la Fondation Beyeler par deux acteurs, l’un – Edward Atkinson – dans le rôle du critique d’art, l’autre dans celui, d’abord d’Alberto Giacometti puis de son cadet. C’est le comédien américain Willem Dafoe, connu surtout pour ses rôles au cinéma mais aussi pour son travail théâtral, qui a interprété les deux artistes en lisant leurs réponses.
Et l’on découvre que ni Giacometti ni Bacon ne manquaient d’humour et d’ironie. «Un arbre sur le trottoir, c’est assez, déclare le premier à Sylvester pour expliquer qu’il recherche toujours l’essence des choses. Deux arbres, cela fait peur.» Bacon de son côté, avoue qu’il comprend que ses modèles ne veuillent pas forcément être avec lui dans l’atelier. «Je comprends qu’ils se sentent insultés par ce que je leur fais sur la toile», dit-il, avant d’ajouter que «les gens ont tendance à être blessés par les faits, c’est-à-dire par la vérité.»
(AG_ 30/07/2018)
....................
Les interviews ont été publiées dans deux ouvrages, «Interviews with Francis Bacon» (1975, Thames & Hudson) et «Looking at Giacometti» (1994, Henry Holt & Company).
L’exposition est à voir jusqu’au 2 septembre 2018.