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SOPHIE TAUBER-ARP

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HISTOIRE D'UN COUP DE COEUR

Texte : Cécile Pardi


L'exposition consacrée à Sophie Tauber-Arp est terminée.

Mais il est possible de voir cette exposition en ligne grâce à une excellente vidéo réalisée par le Kunstmuseum de Bâle -en anglais, avec sous-titrage possible. Ici le lien


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INVITATION À JOUER
C'est en sortant du cabinet de ma médecine, à Bâle, que je posai par un hasard des plus heureux, les yeux sur une boîte de läckerli présentée dans la vitrine d'une échoppe spécialisée dans le commerce de ces biscuits quadrilatères. Je me figeai tout net pour admirer le tableau reproduit sur le couvercle de la boîte métallique et tentai d'analyser mon coup de foudre. L'illustration abstraite invitait à un jeu. Mon regard dansait, passant d'un disque coloré à l'autre, et je cherchai à comprendre pourquoi cela me semblait tout à coup si gai. J'y voyais un oiseau, un mobile, un arbre...
Je me penchai et lus un nom: Sophie Täuber-Arp, suivi de «Kunstmuseum Basel».

COMME À ORLY AVEC BREL
Je me précipitai vers ledit lieu. Dieu ayant eu la bonne idée de faire de Bâle une ville miniature, on peut se rendre à pied partout en quelques pas. Dix minutes plus tard, j'étais pleine d'espoir et de frénésie culturelle (ma première exposition, qui plus est spontanée, après un ixième confinement français!) devant le guichet, à réclamer, avec un sourire ravi, quoique masqué, un billet d'entrée.
«Haben Sie reserviert?»
«Euh, nein...»
«Dann es tut mir Leid, wir sind komplett.»
La chanson de Brel, «Orly», aurait pu décrire ma chute, mon désarroi. Je me mis à tourner, désemparée, et errai vaguement dans le hall jusqu'à ce que je remarque l'espace boutique.
Et là, boulimiquement, je me jetai sur le catalogue complet de l'exposition, l'affiche, une boîte à lunettes. J'ai même failli craquer pour un magnet! Et je repartis riche de tous ces trésors, ravie de mon butin, me promettant de belles heures à tourner les pages de la lourde monographie.

Le samedi suivant, l'avant-dernier jour de l'exposition qui serait ensuite montrée à Londres et New-York, je me présentai à nouveau au même guichet. J'avais pu faire une réservation pour la dernière visite possible, à 17h. Le musée fermant à 18h00, je disposais d'une heure pour rencontrer Sophie!

DU JAZZ POUR LES YEUX
Mon coup de cœur se confirma. J'eus dix, vingt, trente coups de foudre en passant d'un tableau à l'autre. Des jeux pour l'esprit, du jazz pour les yeux! Je m'amusais follement.

HAUSFRAU?
L'histoire de Sophie m'a touchée. Une femme artiste longtemps restée dans l'ombre, qui a sacrifié beaucoup de son talent pour s'occuper de l'amour de sa vie, le célèbre peintre et sculpteur Jean Arp. Le pauvre, nous expliquait-on, n'était pas doué pour les choses matérielles, alors c'est elle qui travaillait (à l'École des arts appliqués de Zurich) pour nourrir son artiste de mari. Et puis, lors de l'exil en France pendant la guerre, c'est également elle qui sacrifiait des heures au ravitaillement. A aucun moment, l'exposition ne parlait de l'influence de Sophie sur Jean. Elle est décédée bêtement, alors qu'elle passait la nuit chez un ami, d'une intoxication au monoxyde de carbone émis par un poêle à gaz défectueux. Elle avait 54 ans. La police a noté sur le procès verbal qu'elle était «Hausfrau».
Elle avait été dadaïste, surréaliste, peintre, sculptrice, danseuse et... si gaie! Quelques photos d'elle donnent une terrible envie de faire sa connaissance. Je suis ravie d'avoir eu cette chance, bien que posthume.
Merci à ces musées qui nous nourrissent parfois si bien! On le réalise d'autant mieux après ces mois de privation. (cp - juillet 2021)

Publié le 4 août 2021.