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TOUT EST À REPENSER!

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FELWINE SARR ÉTAIT À L'ETHZ LE SEMESTRE DERNIER

Texte: Laurence Hainault Aggeler


«Présence intellectuelle et pratique discursive africaine
De la négritude aux ateliers de la pensée»

Notes et réflexion sur le cours de Felwine Sarr, qui avait lieu le semestre dernier (automne 2021), ETHZ, Zurich

Dans l'émission Sternstunde Philosophie sur la SRF le 26 décembre 2021: ici

En savoir plus sur le cours: ici


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L’orateur était proche des interlocuteurs, son naturel allégeait l’atmosphère académique. Un nouvel invité était arrivé à la Chaire de littérature et de culture française: FELWINE SARR.

Cette sommité de
l’intelligentsia francophone, ce grand philosophe et écrivain africain est aussi un homme d’action, œuvrant, avec Bénédicte Savoy, à la restitution du patrimoine culturel africain.

REPENSER LA PHILOSOPHIE AFRICAINE
De septembre à décembre, il s’est adressé chaque mardi au public attentif des étudiant·es de l'ETHZ et des auditrices et auditeurs libres. Et il a déroulé un raisonnement où tout s’enchaînaît au rythme d’un débat d’idées rigoureuses, émaillé de références. Sans digressions inutiles, Felwine Sarr a présenté les grands auteurs africains qui ont contribué à la sortie idéologique de la décolonisation. «Tout est à repenser, les utopies, la relation aux autres, les formes d’être au monde durable!», a-t-il affirmé.  La démarche était claire, forte d’une volonté de redéfinition. Le ton était donné.

MONTRER UNE NOUVELLE VISION DU MONDE
Depuis la moitié du 20ème siècle, la philosophie africaine a étudié la capacité de rétablir la dignité. Les
catégories occidentales ont été remises en question et certaines lectures se sont imposées: celles de Placide Tempels, premier philosophe à porter une vision du monde collective, de Paulin J. Hountondji qui a remis à sa juste place les discours dictés par des exigences antérieures, de Jean Godefroy Bidima, soucieux de recoller les morceaux d’une mémoire africaine pour permettre «l’ouverture infinie des possibles». C’est également lui qui a mené une réflexion sur le rapport entre le droit et l’individu à travers la palabre comme espace de négociation.

SE RÉAPPROPRIER UNE IDENTITÉ
Suivirent les présentations de Mamoussé Diagne qui a démontré comment l’oralité a produit du sens.
Puis de L.Sedar Senghor confronté à la nécessité de redéfinir l'histoire et la culture africaines. En
refondant une Nation basée sur «un vouloir de vie commune selon une coïncidence idéologique», il
fit entrer son pays dans l’indépendance par la voie culturelle et reprit le terme du poète Aimé Césaire, «Négritude». Les Africains eurent alors conscience de leur destin. Les extraits lus ont été commentés, contextualisés, et leur contenu élargi pour étayer le processus de réappropriation d’une identité authentique visant à la «désaliénation». Sur ce chemin, Albert Memmi a analysé le concept de dépendance, Franz Fanon, militant pendant la guerre d’Algérie pour «libérer tous les peuples
asservis», a dénoncé le complexe psycho-existentiel de l’homme de couleur.

CONSTRUIRE UNE PENSÉE POLITIQUE
Avec Cheik Anta Diop, considéré comme le fondateur de «l’afro-centricité», les formes
institutionnelles, politiques, économiques ont été repensées. Décoloniser les savoirs et les sciences sociales, sortir des écritures de la mélancolie, ne pas se laisser enfermer dans les moments
traumatiques, tel est le projet de Laetitia Kisukidi pour «forcer l’éclosion du futur contre la nuit». Les questions ont fusé. Comment atteindre le «pluriversel»? Comment refonder l’ordre du discours? s'est  demandé Valentin Mudimbé. Comment refuser la commisération des autres si elle réduit le temps
nécessaire pour construire des réponses? Nadine Machikou a lancé l’idée d’une «subversion
compassionnelle», soit la remise en question fondamentale de la notion d’assistance.

PROPOSER DES UTOPIES CONSTRUCTIVES
Felwine Sarr croit à la réussite d’un humanisme non impérialiste sur le long terme. Interventions,
présentations et lectures se sont multipliées en automne afin de porter ce message d’espoir. Un de
ses amis dont il est l’éditeur, Mohamed Mbougar Sarr, a remporté coup sur coup trois grands prix début novembre: le prestigieux prix Goncourt français, le prix Goncourt suisse et le prix Transfuge,
consacrant ainsi son roman comme le meilleur de l’année en France, en Suisse et à l’étranger. Son livre
«La plus secrète mémoire des hommes» passe maintenant de mains en mains. «Un roman dominé
par le désir de dépasser la question du face-à-face entre Afrique et Occident», annonce le quatrième
de couverture! Un vrai point commun entre les deux écrivains.

L’arrivée de ces deux penseurs
sénégalais dans notre paysage helvétique force les remises en question, les échanges, l’émulation
intellectuelle. Un vent frais s’est mis à souffler et cela continuera au printemps avec la visite de
Bénédicte Savoy.

(L.H.A 8.12.2021)


Publié le 27 janvier 2022