→ ART/MUSÉES

RENDRE SON IMAGINAIRE À L'AFRIQUE

jonone1 280

jonone2 280

Les workshops à l'ETHZ ont réuni des étudiants venant de toutes disciplines et des auditeurs libres. Dès le début, une atmosphère propre au dialogue, à l'écoute et à la réflexion s'est instantanément mise en place.
Ce furent de très beaux moments d'apprentissage et de réflexions. (ndlr)


DE «L'ACCUMULATION PRIMITIVE» À LA RESTITUTION

Texte: Laurence Hainault Aggeler


A propos des séminaires- ateliers de Bénédicte Savoy (11-18-25 mars et 1 avril 2022) :
«Extraction culturelle: Transfert du patrimoine d’Afrique en Europe aux 19e et 20e siècle»

En savoir plus sur les workshops: ici

En savoir plus sur le cours de Felwine Sarr le semestre dernier: «Tout est à repenser», ici

Ici: Notre historique de la restitution des biens muséaux de la France à l'Afrique


→ PRINT


LA MISSION
Bénédicte Savoy s’est engagée dans une grande mission et ses ateliers du vendredi à l’École polytechnique fédérale de Zurich, sur invitation de la Chaire de Littérature et de Culture françaises, nous ont fait découvrir les tenants et les aboutissants d’une aventure qui mène à la restitution des biens muséaux africains. Pour ceux qui ont suivi le cours de Felwine Sarr, le semestre dernier dans le même cadre, la démarche correspond aux convictions du philosophe sénégalais: l’Afrique a perdu un imaginaire qu’elle doit reconstruire.

LA COMPRÉHENSION
Ce long travail s’appuie sur l’étude et la compréhension historiques des archives pour définir une éthique de nos rapports avec l’Afrique. Bénedicte Savoy réaligne certaines positions, «désenracine les certitudes» et fixe nos responsabilités actuelles.

LE BOULEVERSEMENT
Le séminaire a présenté maints témoignages et illustrations. De nombreux documents ont été analysés, confrontés avec une rhétorique convaincante. Au-delà des informations concernant l’apport de l’art «nègre» et son absorption dans notre culture, au-delà du discours sur la dignité noire et l’histoire de la conférence de Berlin qui conditionna le partage arbitraire de l’Afrique entre les Européens, au-delà du récit des négociations laborieuses et des résistances ouvertes ou cachées de certains conservateurs ou directeurs de musées européens dans les années 80, Bénédicte Savoy s’est attachée à démontrer combien l’ordre du savoir fut bouleversé par une période d’échanges inconcevables dès le commencement du commerce triangulaire colonial.

LE VIOL
Grâce à la projection de documents choisis avec soin et présentés de manière vivante, les étudiants ont appris comment procédaient les ethnologues pourvoyeurs des musées au 19e siècle. Entre autres les missionnaires qui confisquaient les fétiches, exigeant un geste de reniement des croyances ancestrales. En fait ils violaient l’esprit et la culture d’un peuple. En décryptant les entrevues avec les responsables des années 70, le public étudia les arcanes d’une forte politique d’opposition allemande et britannique, basée sur l’incompréhension des objectifs culturels africains et la peur de vider les musées européens. Certaines terminologies reniaient toute dynamique historique et qualifiaient les requêtes d’«émotionnelles»,  afin de leur enlever toute légitimité.

LE DÉLIT
Et pourtant, extraire des produits culturels, en remplir des musées mal conçus et saturés de trésors, accumuler des œuvres d’art dans les caves n’est-ce pas enterrer bel et bien une culture et freiner l’interaction entre les peuples pour une coexistence harmonieuse des richesses mondiales? Ce processus dévoilé, on comprend aisément que la restitution ne consiste pas seulement dans un retour organisé des objets, qu’ils aient été donnés, vendus ou volés. Dans tous les cas, leur départ fut une «extraction délictueuse».

LE PROJET
Réactivons maintenant l’imaginaire lié à ces œuvres. Bénédicte Savoy, Felwine Sarr et leurs équipes de chercheurs, de spécialistes, de muséologues et d’ethnologues s’attèlent à une tâche gigantesque, car l’entreprise doit réussir la récupération de la mémoire identitaire afin de construire un avenir spirituel solide et cohérent. Un projet politique et culturel de grande envergure.

L’ESPOIR
Le séminaire se referma sur un très beau tableau de Victor Ehikhamenor, un jeune artiste africain actuellement exposé dans la crypte de la cathédrale Saint-Paul de Londres, juste à côté de la plaque commémorant une victoire coloniale. Un roi écarlate sur fond blanc brandit son sceptre. Dénonciation de la violence sanguinaire, espoir d’un honneur retrouvé? Les deux sans doute.  

L.H.A 04/2022 - Mis en ligne le 2 avril 2022