→ CINÉMA
EL BUEN PATRON
Blanco est un patron paternaliste, fier de son usine qui compte plus que tout pour luiExercice de séduction...
La jolie stagiaire a les dents longues
Il faut que la stagiaire au marketing, avec laquelle il a une affaire, fasse une minijupe à l'emblême de la justice
Miralles, l'employé fidèle, se met à dérailler or, dans les balances, on chérit l'équilibre et la pondération
Il y a toujours un ambitieux prêt à tout pour prendre votre place...
Tous les matins, Blanco passe devant la balance placée à l'entrée de son usine...
... et devant le campement sauvage d'un employé licencié
TOUTE RÉCOMPENSE OBTENUE EN TRICHANT A SON PRIX
Texte: Valérie Valkanap
El BUEN PATRON, de Fernando Léon de Aranoa (Esp., 2021, 120 mn), une comédie corrosive six fois récompensée aux Goyas
A partir du 2.06.22 sur les écrans suisses alémaniques et tessinois, du 22.06.22 en Suisse romande
UN PUISSANT PATRON PATERNALISTE.
Blanco (époustouflant Javier Bardem), règne sans partage à la tête d’une affaire familiale produisant des balances industrielles. Pour la centaine de salariés qu’il nomme affectueusement ses enfants, il prétend être là en cas de coup dur. C’est ainsi que, faisant jouer ses relations, il fait libérer Salva, le fils d’un vieil employé arrêté dans une échauffourée. Mais il sait aussi s’immiscer très loin dans leur vie privée quand l’intérêt de l’entreprise l’exige. Or Bascules Blanco a été sélectionnée comme finaliste au Prix de l’excellence régional et son patron entend bien décrocher la première place. «Parfois, on est obligé de prendre des décisions difficiles pour le bien de la famille» prévient-il, surplombant l’ensemble du personnel réuni, tandis qu’en arrière-plan, José, un ouvrier qui vient d’être licencié, se fait éjecter sans ménagement. On comprend dès lors que toute conduite serait sanctionnée qui ternirait l’image de la fabrique en mettant en danger l’obtention de la récompense convoitée. En une dizaine de minutes, le décor est planté.
POUR RÉUSSIR, IL FAUT PARFOIS TRUQUER LA BALANCE DE LA JUSTICE. Présage hautement symbolique: un oiseau venu se poser dans un des plateaux de la balance placée à l’entrée de l’usine l’a déréglée, au grand mécontentement de Blanco. Jour après jour, on observe les obstacles qui vont s’accumulant, avant d’assister, médusé, aux méthodes auxquelles Blanco a recours pour les contourner. C’est d’abord José qui installe un campement face à l’usine et sort le mégaphone dès qu’il voit le patron passer (ses slogans ne riment pas tous, au désespoir du vigile, poète à ses heures!). Puis c’est Miralles, le fidèle et compétent contremaître («mon ami, mon frère» lui dit Blanco) qui met en danger la chaîne de production parce qu’il a des ennuis dans son couple. On rit aux dialogues percutants. Saviez-vous que lorsqu’une femme vous dit qu’elle a «besoin d’air», cela signifie qu’elle a un amant? Ensuite, c’est Liliana, la stagiaire biberonnée au porno, qui cède à ses avances répétées. Une scène aussitôt suivie d’une révélation assenée par sa femme. A deux reprises, on l’avait déjà entendue dire: «j’ai quelque chose de très important à te dire, mais j’ai oublié quoi», nous laissant craindre le pire. Il y a aussi Khaled, le chef logistique qui brigue le poste de Miralles et emploie de bien vils moyens; et puis un journaliste attiré par le sort du licencié campeur, mais surtout alléché par «l’histoire humaine» dont ses lecteurs pourront se repaître.
L’IMPORTANT, C’EST l’IMAGE QU’ON DONNE DE SOI, pas ses actes. Une façon de procéder bien dans l’ère du temps. Les masques tombent avant l’arrivée de la commission attributive du prix d’excellence. Bonnes paroles n’engageant à rien et cynisme («on nommera notre prochaine balance «Salva» en mémoire de ce jeune homme prometteur»), mensonges et compromissions, clientélisme et retours d’ascenseur, hypocrisie et langue de bois (Blanco prétend s’être élevé à force d’efforts et d’humilité. «Toi, tu as hérité de l’usine de ton père», lui rappelle sa femme), abus d’autorité, népotisme, délation, tentative avortée d’acheter José («vous, vous commandez en face, ici je suis le maître» rétorque-t-il), tentative de meurtre, sans oublier le fameux harcèlement au travail. Blanco a tort de critiquer le travail de la jeune publicitaire. Ah, il veut vêtir d’une mini-jupe la justice aux yeux bandés? Elle ne manquera pas de se venger. Tout cela met en lumière les tendances actuelles sur le marché du travail: opérationnalité à 100% exigée, mépris de la personne humaine, précarisation subséquente du travail pour ceux qui ne peuvent pas suivre la cadence, opportunisme à outrance: il faut jouer l’ouverture, l‘interculturalité, la promotion des femmes, même si on méprise ces valeurs. Alors, truquer la balance, vraiment? Celui qui a tiré les ficelles aura beau se laver les mains, elles continueront de puer.
V.V. 21.05.22