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EMIL NOLDE

content emil nolde Emil Nolde - «Cafégäste», 1911
Huile sur toile, 37,5 x 25 cm
Nolde Stiftung Seebüll - © Nolde Stiftung Seebüll -  Photo: Fotowerkstatt Elke Walford et Dirk Dunkelberg

 

 


DES ALPES À LA PAPOUASIE

Texte: Valérie Lobsiger


EMIL NOLDE, une exposition haute en couleurs

À voir au Centre Paul Klee de Berne du 17.11.2018 au 3.03.2019

En savoir plus sur le site du Centre: ici 

Des visites publiques en français sont organisées les dimanche 20.01 et 3.03.2019 à 15h (CHF 5 + billet d'entrée) et des performances de danse par Karin Minger les samedi 8.12.18, 29.12.18, 19.01.19, 9.02.19 et 2.3.19 à 14 h (billet d'entrée)

Ici quelques impressions visuelles de l'expo en 17 toiles


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DU LIEN QUI LIAIT EMIL NOLDE (1867-1956) ET PAUL KLEE (1879-1940), on n’apprendra pas grand-chose, pas en tout cas à l’exposition qui leur est consacrée. Une amitié entre leurs épouses Ada et Lily, une estime réciproque malgré des divergences politiques entre les deux peintres (Nolde continua de proclamer son appartenance au national-socialisme, même après saisie en 1937 de 1052 de ses œuvres dans les musées allemands tandis que Klee émigra à Berne dès 1933 après avoir été démis de son poste d’enseignant à Düsseldorf)… Guère plus, mais qu’importe. Elle est prétexte à explorer les sources d’inspiration de Nolde, ce contemporain de Klee dont l’œuvre sature de couleurs.

ISSU D’UNE FAMILLE DE PAYSANS, Emil fit à partir de 1884 un apprentissage de sculpteur sur bois et de dessinateur de meubles. C’est dans le monde alpestre qu’il puise tout d’abord son imagination, prêtant aux sommets alpins des visages de bons gros géants. En 1897, ces dessins sont édités sous forme de cartes postales qui lui rapportent de quoi s’offrir une vraie formation artistique. Ses premières figures grimaçantes, caractéristique récurrente du peintre, voient ainsi le jour. Autre source d’inspiration, la nature danoise du Jutland, empreinte des légendes nordiques dans lesquelles a baigné son enfance, qui lui souffle en 1901 ses créatures fantastiques. Il laisse le papier absorber l’aquarelle et dessine sur les formes spontanément apparues. On reste en arrêt devant «Avant le lever du soleil», une huile de 1901 où un dragon volant ressemblant à Dino, Le Petit Dinosaure, une série animée américaine trop connue, défie une sorte de gargouille menaçante taillée dans la roche. C’est à s’auto-flageller: pourquoi coller nos chères têtes blondes face à un écran devant tant de fantaisie préexistante…

UNE FORCE BRUTALE, UNE SENSUALITÉ SE DÉGAGENT de ses toiles, à mi-chemin entre rêve et réalité. Des fantômes, des diables, des danseurs, des rois mages, des couples se reluquent, se défient ou s’affrontent; des femmes dénudées attisent les tentations; parfois dans une trêve, les lèvres vermillon se rapprochent. Cette lourde «Femme de mer» noire (huile de 1922), contorsionnée sur un rocher tandis que les vagues se déchaînent à deux pas, à l’épaisse et sombre chevelure, aux yeux injectés de sang, aux lèvres, aux doigts de mains et de pieds écarlates, n’est-elle pas menaçante? Quels désirs obscurs réveille-t-elle à nos yeux fascinés?

L’EMMÉNAGEMENT À BERLIN En 1911, il fait émerger sous son pinceau d’autres masques grimaçants: ceux de la bonne société s’encanaillant la nuit dans les cafés et cabarets où l’on s’enivre et où l’on danse. Deux traits blancs empâtés barrant une tache noire suffisent à suggérer une œillade lubrique, une épaisse ondulation carmin en guise de bouche évoque un sourire d’acceptation tacite. C’est rapide, cru, débridé, le tout dans une palette de tons chauds. Ça nous parle, expressif, efficace.

INFLUENCE ETHNOLOGIQUE
C’est aussi l’époque où Emil Nolde commence à s’intéresser à l’art ethnographique. Il fréquente assidûment trois hivers de suite le musée ethnologique de Berlin pour y reproduire à l’aquarelle statuettes et figurines en provenance de Nouvelle-Guinée. On les retrouve bientôt dans de multiples natures mortes à l’huile (telle «Figures exotiques», 1911), combinées à des porcelaines de Russie. Nolde croit à la nature originelle préservée. C’est même pour cela qu’il entame avec Ada un voyage en Papouasie-Nouvelle Guinée d’octobre 1913 à septembre 1914. Il y consigne ses impressions en accumulant les aquarelles.

EXOTISME, GROTESQUE ET FANTASTIQUE
A son retour, il se consacre à l’exotisme, au grotesque, au fantastique, signant un langage formel propre qu’il ne saurait abjurer, même pas par fidélité à l’Allemagne et à son Führer qui considère son art, amère déception, comme dégénéré. Klee reste à ses côtés «quand tout le monde se moque». A la mort de Paul en 1940, Emil, après lui avoir rendu hommage, confesse: «Et pourtant son être, dans son tréfonds, est demeuré pour moi une énigme. Je n’ai jamais eu l’occasion d’un échange humain et amical avec lui».

Gageons que la réciproque était aussi vraie. Un autoportrait datant de 1917 placé à l’entrée de l’exposition nous accroche. Emil Nolde, moustache noire, panama, veste de lin blanche, cravate bleue assortie au bleu intense de ses yeux, nous fixe sans nous voir, de ses grosses pupilles dilatées. Son regard, fixé au loin, nous traverse. On croit l’entendre murmurer à son ami Hans Fehr que notre déchéance est en route et qu’elle est immuable.

VL 20.11.18