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SO LONG, MY SON

affiche du film So long my son

Xingxing et ses parents comblésXingxing et ses parents comblés

20 ans plus tard Xingxing manque encore20 ans plus tard, xingxing manque encore


LA POLITIQUE DE L'ENFANT UNIQUE PAR LES DRAMES QU'ELLE A PROVOQUÉS

Texte: Valérie Lobsiger


SO LONG, MY SON, DE WANG Xiaoshai

Sur les écrans suisses alémaniques à partir du 10 octobre 2019 (Chine 2019, 3h05)


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LA POLITIQUE DE L’ENFANT UNIQUE, instituée par le parti communiste chinois à partir de 1979 (et abandonnée en 2015), a engendré des drames personnels dont les répercutions, non anticipées, ont semé loin leurs dérèglements. Pour nous le donner à sentir, le réalisateur WANG nous raconte sobrement l’histoire d’un couple d’ouvriers Yaojun (Wang Jing-chun) et Liyun (Yong Mei, ours d’argent de la meilleure actrice et lui, du meilleur acteur au 69e festival international du film de Berlin), de 1980 à nos jours, avec de fréquents allers-retours dans le temps. L’occasion de découvrir un pays où le régime communiste, en s’ingérant dans la vie privée, réussit à tourmenter l’âme humaine durant des décennies. Et cela, pas seulement auprès du couple en question. Du grand art ne relevant pas de l’action, mais de la réflexion.

LE FILM S’OUVRE SUR XINGXING vu de dos. Dans son costume d’écolier, il regarde avec envie ses petits camarades s’ébattre dans une eau jaunâtre. A ses côtés, son ami Haohao n’y tient plus. Il se déshabille et s’élance. On voit encore Xingxing déjeunant avec ses parents le couvant du regard, à une petite table coincée entre un lit et un frigidaire. Puis c’est déjà la scène, filmée à distance, de la découverte de la noyade de Xingxing. La caméra nous emmène ensuite dans un port d’aujourd’hui, loin de la ville initiale, où Yaojun, installé chichement à son compte, travaille le métal. Son fils adoptif, Liu Xing, affalé sur son lit à jouer avec son téléphone, ignore l’invitation de passer à table lancée par sa mère…Le contexte planté clairement en trois scènes, le drame, telle une plante toxique, peut lentement propager ses effets vénéneux.

L’IDENTITÉ PROPRE DE LIU XIUNG EST NIÉE. Il suffit de dire que ses parents adoptifs l’appellent Xingxing. Dès lors sa rébellion est programmée («je ne suis pas assez bon pour vous», leur lance-t-il), infligeant une douleur supplémentaire au couple accablé. Mais comment ne pas les comprendre? Pour eux «le temps s’est arrêté il y a bien longtemps» et ils attendent de «devenir vieux» dans la dignité. Bientôt un flashback nous ramène aux années 80. Liyun est enceinte d’un second enfant. Non seulement le couple risque une amende, mais également de perdre chacun son emploi. On assiste à l’arrestation de Liyun, sermonnée par la directrice du planning familiale (un service propre à l’usine!), embarquée comme une criminelle et forcée à avorter. On voit l’aciérie avec ses ouvriers en bleu de travail pliant le dos sous les vociférations de haut-parleurs qui appellent à soutenir le programme des quatre modernisations, dont la politique de l’enfant unique. C’est l’époque où aimer danser peut vous mener en prison, avec un programme de rééducation pour vous rappeler que, face à la collectivité toute puissante, l’individu n’existe pas.

LA CULPABILITÉ DE L’ENTOURAGE représente l’autre part du drame. La directrice du planning, par ailleurs amie du couple et mère de Haohao, ne se remet pas d’avoir dénoncé autrefois Liyun et Yaojun dans le cadre de ses fonctions au sein de l’usine. «Nous sommes riches maintenant, nous pouvons vous payer l’amende pour avoir un nouveau bébé» chuchote-t-elle sur son lit de mort à une Liyun aux cheveux gris, dévastée par le chagrin. La culpabilisation est elle aussi présente, avec un Haohao dont le père n’a jamais cessé de blâmer l’enfant… Il a grandi, est devenu médecin (retrouvailles poignantes du couple revenu dans la ville du drame faire ses adieux à leur amie d’autrefois). Sur le point de devenir père à son tour, Haohao, en apparence comblé, n’a pas cessé d’être habité par la faute. Pour cela, un seul remède: la parole, même s’il faut assener un dernier coup au couple. L’air de la vieille ballade écossaise «Ce n’est qu’un au revoir» version chinoise, sucrée et écœurante à souhait, entendu à plusieurs reprises au cours du film, souligne l’universalité des thèmes abordés. L’Etat inique a beau enfermer la société dans le conditionnement, il reste à chacun ses sentiments. On pense à George Orwell et on frissonne.
(VL_ 21/09/2019)