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«NUES DANS UN VERRE D'EAU»

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LE STYLE CRU, DRÔLATIQUE ET POÉTIQUE DE FANNY WOBMANN

Texte: Valérie Lobsiger


Nues dans un verre d’eau, de Fanny Wobmann (Flammarion, 2017, 159 pages)

«Personne ne poste des photos de ses grands-parents dans un lit d’hôpital» et pourtant chacun est concerné, non?


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LA JEUNE CHAUX-DE-FONNIÈRE A DU STYLE. On ne se réfère pas ici à la langue locale et colorée de Fanny Wobmann, avec les expressions typiquement romandes et pleines de charme dont elle truffe son récit (s’encoubler, carac, gouille d’eau, cornettes, tatouillard, gâtion…). Non. En cause ses phrases légèrement en décalage par rapport à la réalité, leur poésie, leur côté drolatique, leur parler cru qui sonne si vrai. Nous n’en citerons qu’un seul exemple mais, pour notre plus grand plaisir, elles foisonnent dans le livre: «La sensation que cet homme blanc avait planté son tabouret de bar dans mes entrailles, qu’il y était assis pour toujours et regardait mes ovaires s’agiter en riant».

L’UNE PORTE LA VIE QUI S’ÉCHAPPE DE L’AUTRE et cela forme autour des deux protagonistes une chrysalide dans laquelle une complicité très forte s’établit. Mais reprenons. Laura passe un séjour linguistique de quelques mois en Angleterre. En fin de semaine, elle rejoint la mer et ses plages de galets à nudistes. Amusée par les fesses d’un drôle de zig qui «s’entortillent» quand il court après son chien, curieuse du mode de vie et de pensée de cet étranger bizarroïde, elle choisit de se laisser mener au lit de celui qu’elle nomme son «homme de plage» sans vraiment être conquise. L’évocation de ces moments souvent cocasses alterne avec ceux que Laura passe au chevet de sa grand-mère hospitalisée. Grand-mère aussi rebelle et loufoque à ses heures que Laura mais de plus en plus souvent gagnée par la confusion et les réminiscences de sa vie d’autrefois à la ferme. En tant que petite-fille, Laura est un personnage à parfaite bonne distance de celui de la grand-mère pour pouvoir la comprendre, l’aider et l’observer sans enjolivement; cela permet, d’autre part, de rendre encore plus évidents les tourments que traverse sa tante qui, en tant que fille mal aimée, est ravagée par toutes sortes d’émotions contradictoires.

ON N’A PAS FORCÉMENT ENVIE d’aborder la fin de vie en EMS ou en milieu hospitalier de nos proches dans nos lectures. Peut-être parce que ce thème, trop familier, nous pèse. Mais la façon, irrévérencieuse et ravigotante, dont l’auteure l’aborde nous conquiert. Elle raconte sans tourner autour du pot ce que cela nous fait, à nous autres, quand un de nos parents ou grands-parents tombe sans défense dans les rouages qui gèrent et balisent l’avant-mort. Angoisse, culpabilité, colère, détresse, déni, envie de trouver un remède miracle, de lutter pied à pied contre la faucheuse qui rôde. D’autres écrivaines se sont penchées sur ce thème après Fanny Wobmann: Delphine de Vigan dans «Les Gratitudes» ou, plus récemment, Anne Pauly dans «Avant que j’oublie». Trois femmes fortes.
VL 30.05.20