→ LIVRES/IDÉES

L'ENFANT CÉLESTE

jonone1 280

 

 


UNE ÎLE, UN ASTRONOME ET DE LA LITTÉRATURE

Texte: Stéphanie Heeb


«L’Enfant céleste» de Maud Simonnot (2020, Les éditions de l’observatoire) est nommé pour le Prix Goncourt 2020.

Le 11 novembre, nous organisons (si nous le pouvons) une rencontre LES LIVRES QU'ON M - LE CHOIX GONCOURT en collaboration avec des étudiants de la Chaire de littérature et de civilisation française de l'ETHZ et le ROSE de l'Uni Zh. Bientôt plus d'infos


→ PRINT


À première vue, rien ne relie Tycho Brahe, l’astronome danois du 17ème siècle, «Hamlet» de Shakespeare et une petite île suédoise. Dans «L’Enfant céleste», Maud Simonnot montre les liens multiples qui réunissent ces trois sujets, en écrivant l’histoire d’une mère et de son fils. Mary a le cœur brisé et l’âme triste après une séparation, alors que Célian s’ennuie à l’école et, malgré sa grande curiosité, est désigné comme un «enfant paresseux.» À deux, ils fuient Paris pour retrouver un paradis caché, l’île de Ven, dans la mer qui sépare le Danemark de la Suède.

«Les reflets des vagues forment des paysages mouvants, les voiles blanches s’éloignent et se rapprochent sur les vibrations lumineuses de l’horizon.»

Ils découvrent sur l’île une nature farouche et enchanteresse. Mère et fils retrouvent leur amour de la nature, que Mary avait perdu depuis l’enfance, et que Célian ne pouvait pas connaître en ville. Les descriptions de l’île ont un caractère presque transcendant et font rêver de pays lointains et d’une vie plus «simple», en accord avec le rythme de la nature. La narration de cette sorte de fuite, où les protagonistes cherchent à échapper à l’ennui quotidien pour retrouver la «vraie» vie dans la nature, est presque devenu un stéréotype. Mais «L’Enfant céleste» évite de tomber dans le cliché de la nature comme notion abstraite par laquelle les protagonistes trouvent du sens dans leur vie – elle est simplement présente, à chaque moment, prête à être observée et vécue.

«Planète signifie ‘errante’.»

C’est depuis l’île de Ven que Tycho Brahe, l’astronome, a observé le ciel pendant 20 ans. Son histoire fascine Célian, qui se souvient de l’ordre des planètes, mais pas de l’ordre des jours de la semaine. Le ciel et les étoiles deviennent ainsi un point central autour duquel l’histoire orbite. Sur l’île, Célian parle de son héros avec «Des Esseintes», un professeur Shakespearien qui vient à Ven chaque année. D’après lui, la vie et le travail de Brahe auraient inspiré Shakespeare dans son œuvre, et plus particulièrement dans «Hamlet». Les citations du drame du prince danois se mêlent sans effort dans ce texte, qui pose les mêmes questions que Shakespeare: Qu’est-ce qui est important dans notre vie? Où commence la folie? Comment affronter les souffrances? Être ou ne pas être?

«Mais pour énoncer le plus évident, il fallait peut-être l’esprit d’un enfant»

Dans «l’Enfant céleste», c’est l’amour pour la nature, mais aussi pour l’autre, qui sauve Mary et Célian. L’auteure nous montre deux personnages très libres, qui restent quand même liés l’un à l’autre par cet amour inconditionnel qui caractérise la relation entre l’enfant et sa mère.

L’entrelacement de recherche historique et littéraire, d’écriture de nature, et de réflexion psychologique dans ce livre, tout dans moins que 200 pages, témoigne d’une maîtrise étonnante de la matière et de l’écriture. C’est un texte qui nous offre une échappatoire en ces jours de quasi-confinement – le lecteur peut s’enfuir sur l’île suédoise, mais aussi se perdre dans la prose admirable.

(SH 19/10/2020)