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RÉTROSPECTIVE DU SÉMINAIRE DONNÉ PAR KIM THUY À L'ETHZ
LA BEAUTÉ SAUVERA LE MONDE
Texte: Laurence Hainault Aggeler
Chaire de littérature et de culture française EPFZ
Rétrospective du séminaire donné par Kim Thuy
«La beauté sauvera le monde» les 21/22 février 2025, 7/8 mars 2025
Le site de la Chaire: https://francais.ethz.ch/fr/aktuelles/fs-22.html
Dans notre agenda: info ici
Nos infos : https://www.auxartsetc.ch/lieux/tous-lieux/tout/11399-la-chaire-de-litterature-et-de-culture-francaise-de-l-ethz
Kim Thuy affiche un sourire communicatif, bouge avec vivacité, répond à toutes les questions,
sans hésiter à en reconnaître les difficultés. Ses idées rebondissent sur des exemples multipliés et suivent les méandres d’une histoire sans fin, mais non sans intention. Elle considère comme une mission «de partager la beauté des choses».
PRENDRE L'EXISTENCE À BRAS LE CORPS
Pour légitimer sa position existentielle, Kim Thuy a raconté certains épisodes tirés de son vécu
historique. Ses récits offrent une plongée à l’intérieur de soi. Rescapée de la guerre du Vietnam, arrivée au fond d’une cale avec les boat people dès l’âge de 10 ans, survivant dans un camp de réfugiés avant d’être envoyée au Canada, la jeune femme s’est battue avec
détermination avant de se lancer dans l’écriture et devenir célèbre. Dès lors, comment ne pas croire à sa façon très particulière de prendre l’existence à bras le corps pour réussir? Ses devises: rejeter ce qui peut détruire l’espoir, détourner les pensées négatives, débusquer les
moments de bonheur, porter un regard positif sur l’éphémère d’un ravissement. Sa ligne de conduite décline une série d’attitudes.
RESPECTER LES SOUVENIRS
Gardons les objets porteurs de souvenirs, car ils sont fondateurs de notre identité. Entre autres exemples, citons celui de ce bracelet d’enfant confié à Kim Thuy par sa mère. Malgré son aspect inoffensif et bon marché, il était rempli de diamants, toute la fortune de la famille pendant son exode. Ce bijou est resté comme un symbole de survie puis de victoire. Quant
au petit carnet recueillant les premières notes de la romancière, quoi de plus précieux pour
une écrivaine?
NE PAS CÉDER AUX MODES
Détachons-nous des impératifs culturels, car leurs critères sont subjectifs. Nous soignons nos
dents blanches alors que les Vietnamiennes des siècles passés exhibaient leurs dents laquées
noires, signes de splendeur. La laideur d’autrefois devient la beauté d’aujourd’hui et vice-versa. Protégeons notre libre arbitre sans nous soucier de l’esprit du temps.
PORTER ATTENTION AUX AUTRES
L’empathie permet les rencontres et certaines vont changer notre destin. Quand elle tenait un restaurant, Kim Thuy s’asseyait à côté d’un client isolé pour le consoler, car elle le croyait triste.
Or il s’agissait d’un célèbre éditeur en mal de quiétude. Il ouvrit à la future écrivaine les portes du succès. À la même époque, les habitants du quartier proposaient leur aide, construisaient une solidarité. Dès son arrivée au Canada Kim Thuy fit l’expérience de la chaleur humaine tournée vers autrui, une expression de la beauté intime.
CULTIVER LA BEAUTÉ INTÉRIEURE
Cette beauté intérieure permet aussi de lutter contre l’agression. Toujours en partant d’exemples pointus tirés de son quotidien, Kim Thuy expliqua comment rassembler ses forces, refuser la colère ou la peur et détourner les actes mesquins. Ainsi en expédiant à son bureau un énorme bouquet de fleurs, elle interrompit les critiques
mensongères d’une calomniatrice jalouse, tout le monde les croyant amies. Là où l’astuce se mâtine d’humour, triomphe la beauté du geste.
ÊTRE CONSCIENTS DE LA FRONTIÈRE TÉNUE ENTRE LE BIEN ET LE MAL
Kim Thuy présenta comme illustration le livre «The things we carried» («Si je meurs au
combat») de l’écrivain américain Tim O’Brien, lauréat en 1979 du prestigieux National Book Award. Enrôlé pour la guerre du Vietnam, le romancier explore dans son œuvre comment la mémoire et la narration permettent aux individus de se relever du traumatisme. Un extrait fut choisi pour lecture. Un soldat vient de poser le pied sur une mine. Durant une fraction de seconde les éclaboussures de sang s’irisent dans le soleil. Les autres contemplent ce tableau, incrédules, horrifiés, pourtant émerveillés. L’écrivain transmet le paradoxe du moment fugace et la littérature réinterprète ce monde où tout peut basculer. Elle le sauve de la laideur.
L’IMPORTANCE DE LA SOBRIÉTÉ
La suite du séminaire fut consacrée à l’écriture romanesque de la conférencière, résultat de ce positionnement général tourné vers la beauté des souvenirs, des êtres et de leur héroïsme au quotidien. En décrivant l’intensité des sentiments vécus, la littérature focalise leur existence discrète dans notre réalité. Mais Kim Thuy réprouve les fioritures inutiles. Dans son livre
«Em» (un mot vietnamien équivalant à la tendresse), elle met en scène une enfant tout juste
sortie d’un massacre. La volonté de l’écrivaine: choisir les termes connotés de beauté pour
accentuer l’horreur, renforcer par contraste l’impact de la violence.
PARTAGE D'AUTEURS
En conclusion, Kim Thuy lut quelques lignes de ses écrivains préférés, un haïku de la
Suissesse Hélène Bouchard, les regards croisés de l’auteur français Bernard-Marie Koltès, l’expression de la douleur dans une œuvre de la Franco-Syrienne Maram al Masri. Elle conseilla la lecture de «L’oie sauvage» de Mori Ogaï, auteur japonais de la fin du 19e siècle,
une histoire sur l’importance du hasard, de l’amour rêvé, «effacé» où tout se joue entre silence et sourire et celle d'«Un jeudi saveur chocolat» de Michiko Aoyama, auteure contemporaine également japonaise. Ce roman choral invite à trouver le bonheur dans les petites choses du quotidien. Douze chapitres où douze tranches de vie entremêlent leurs destins entre Tokyo et Sydney.
Chaque cours se terminait sur une question: «A quoi sert la beauté? Quelles en sont la profondeur, la texture, quel en est le pouls…?». Les auditeurs pouvaient rendre leurs
réponses et prolonger la réflexion du point de vue personnel. Kim Thuy a établi un lien fort et
direct avec des étudiant·es. L’attention du public jeune, avide de bonheur et de succès, ne s’est
jamais relâchée. Comme on les comprend!
Publié le 4 juin 2025