→ CINÉMA → NOUVEAU

TRAUMLAND

trraumland orange

COMMENT AMÉLIORER LA PROTECTION DES VICTIMES DE L’EXPLOITATION SEXUELLE?

Texte: Valérie Lobsiger


TRAUMLAND
de Petra Volpe, CH/DE, 2013, 99'

La traite des êtres humains est un juteux trafic et un réel fléau d’actualité auquel la jeune réalisatrice et scénariste Petra Volpe sensibilise, sans larmoiement, le spectateur.

Ce n'est pas un documentaire même si cela y ressemble. Et le suspens monte jusqu'à la fin!


→ PRINT


TRAUMLAND SE JOUE DANS LES QUARTIERS CHAUDS de Zurich (Langstrasse). Mais ce pourrait être dans n’importe quelle cité au monde où pullule une multitude de gens en manque de compagnie mais non d’argent. C’est bientôt Noël. Judith (Bettina Stucky) tient une permanence de nuit pour les prostituées. Elle leur procure réconfort, médicaments et protection de la loi si elles le souhaitent. A 5h du matin, elle retrouve ensuite son amant dans une chambre d’hôtel où, grâce à sa fertile imagination, son plaisir se débride. Lena (Ursina Lardi), enceinte pour la deuxième fois, trouve dans la voiture familiale l’enveloppe d’un lubrifiant. Rolf (André Jung) vient de se séparer de sa femme. Il aimerait inviter son vieux père et sa fille à dîner le soir de Noël. Les deux refusent, alors à la place, il donne rendez-vous à Mia (Luna Mijovi), une prostituée bulgare de 18 ans. Maria (Marisa Paredes, qui excelle en vieille bigote hyper garce), voisine d’appartement de Mia, vieille mais belle femme d’origine espagnole, projette d’inviter et de séduire Juan, un de ses compatriotes. On passe d’une histoire à l’autre, sans voir a priori d’autre lien commun que la solitude.

NOËL, UNE FÊTE QU’ON NE VEUT PAS GÂCHER et à l’occasion de laquelle, pour cette raison, on redouble de précautions et de mensonges. Avouer qu’on trompe son conjoint, qu’on s’ennuie avec lui, qu’on aimerait de la tendresse, qu’on a envie de caresses même si on est âgé, ça semble trop difficile à reconnaître. Alors on se rabat sur ce qu’on peut; dans le cas des hommes, sur celle qui va s’accroupir et faire tout ce qu’on lui dit sans rechigner, moyennant quelques billets. Jusque là, on se dit tout va bien, la prostituée joue la soupape de sécurité pour permettre aux autres de continuer de fonctionner tout en sauvegardant les apparences. Lena fait monter Mia dans sa voiture pour se faire expliquer ce que des hommes tels que son mari se font faire. Maria s’achète des dessous affriolants pour séduire Juan. L’une finit par passer l’éponge car rien n’égalera jamais un bon feu de cheminée au sein d’un foyer embourgeoisé, l’autre se fera traiter de …pute par son Juan! La seule qui tire son épingle du jeu est Judith. Plus proche de sa vérité que les autres protagonistes, il est probable qu’elle familiarisera son ami à ses jeux coquins ou le quittera.

LE MALAISE COMMENCE À POINDRE quand on découvre que la prostituée n’a pas les mains libres. Non seulement sa méprisante voisine espagnole l’a prise en grippe (rien de tel qu’un Suisse fraîchement naturalisé pour dicter aux nouveaux venus leur conduite : « Ici en Suisse, il y a des règles et c’est un immeuble décent ! »), non seulement son petit copain Davido est en fait son maquereau, mais à la veille de leur soi-disant retour en Bulgarie, il la vend à un « cousin » italien qui commence par la brutaliser (cruelle scène du capot qui résonne encore à nos oreilles) et lui confisquer son passeport avant de la jeter sur le trottoir. La victime expiatoire de toute la lâcheté et l’hypocrisie ambiante est dès lors clairement désignée.

ON NE SAIT CE QUI CHOQUE LE PLUS : la violence du maquereau, l’égoïste indifférence des hommes ou bien la vile méchanceté de la vieille femme (Ah, s’en prendre à plus faible que soit, un grand classique de la bassesse humaine!). Elle aussi a besoin d’argent pour vivre. Elle en réclame à sa fille qui vit à Hong Kong et qui va lui en envoyer. Elle a aussi se pare pour aguicher les hommes. Où est la différence ? Mia se fait confisquer son argent et ça, personne ne le sait ou s’en moque. Elle est la putain tout en bas de l’échelle sociale et n’est donc pas digne de considération (sauf de Judith). La traite des êtres humains est un juteux trafic et un réel fléau d’actualité auquel la jeune réalisatrice et scénariste Petra Volpe sensibilise, sans larmoiement, le spectateur. La simplicité des dialogues et la succession des courtes scènes confèrent à ce film l’apparence d’un documentaire sur la prostitution. Mais ce n’en est pas un. Petra Volpe réussit à faire monter suspens et tension entre les scènes dont l’enchaînement, pas du tout fortuit mais au contraire très abouti, commence à prendre tout son sens au fur et à mesure qu’approche la fin.

VL 20.02.2014