→ CHANSON/MUSIQUE

!ÏNOUÏ!
ALBUM MONTEVERDI PAR L'ARPEGGIATA

ÏNOUÏ Teatro damore CD

ÏNOUÏ Philippe Jaroussky Arpeggiata

ÏNOUÏ Nuria Rial


DU BAROQUE JAZZY AVEC CHRISTINA PLUHAR

Texte: Nathalie Musardo Sigrist


Ami lecteur, amie lectrice, ouvre grand tes oreilles. Installe-toi confortablement, détends-toi, ferme les yeux… Enfin peut-être un seul si tu veux poursuivre ta lecture. Pour !ÏNOUÏ!, nouvelle chronique de musique classique/jazz mais pas que, Aux arts etc. te prend par la main et te propose de découvrir des contrées inexplorées. Ça ne fera pas mal et ce sera rien moins que passionnant, émouvant, enrichissant.

Au fil de l’actualité ou au hasard du coup de cœur totalement subjectif, nous présenterons à tes oreilles avides des enregistrements d’œuvres époustouflantes réalisés par des gens admirables, des révélations formidables, des interprétations inégalables.

Alors, cours chez ton disquaire tant qu’il existe encore, shoppe en ligne, télécharge ou streame. Allume chaîne Hi-Fi, lecteur MP3, ordinateur, tablette ou smartphone. Équipe-toi d’un bon fauteuil et, dernière recommandation, de haut-parleurs ou d’un casque dignes de tes écoutilles et de ces lieux enchantés où nous t’emmènerons.

 


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Monteverdi: Teatro d'amore
L'Arpeggiata, Christina Pluhar
Erato/Virgin Classics

 

Tu pourras te délecter de trois titres entiers sur le site de l'Arpeggiata. En cliquant sur les exemples tu ne trouveras que de courts extraits à disposition sur les plateformes de téléchargement légal, par exemple celle-ci, qui te propose une bonne qualité de son mais des extraits très courts. Je te conseille donc vivement, pour profiter au mieux de cette merveille, de débourser quelques francs pour une piste ou tout l'album, dématérialisé ou en CD, commandé en ligne ou acheté chez un des vaillants derniers disquaires zurichois, ici ou .

 

Nous commençons cette chronique avec le premier maître de la musique baroque, Claudio Monteverdi (1567-1643). À la charnière entre deux époques, il a, lors de sa longue carrière, conduit le madrigal de la Renaissance à son apogée et composé l’un des premiers opéras, Orfeo (1607). Il ne se doutait probablement pas qu’il jetait en outre des ponts jusqu’au XXème siècle et au jazz! Tu comprendras, ami lecteur, amie lectrice, dans quelques instants.

 

DU CONTREPOINT

Pour faire bref, il a manié à merveille le «stile antico», modal, où les voix sont entrelacées, traitées de manière égale et horizontale. Les madrigaux choisis pour ce disque sont très modernes et s’éloignent franchement des maîtres franco-flamands ou du style strict d’un Palestrina, mais la piste 11 «Madrigals, Book 8 - Hor che 'l ciel e la terra» nous donne tout de même un exemple de cette écriture. À 2’18 (il te faut la piste en entier) tu auras même une surprise! Une sorte de récurrence de la Toccata d’ouverture de l’Orfeo, premier extrait du CD.

 

À L’HARMONIE

Avec l’opéra et l’avènement de l’âge baroque commence le «stile moderno», la «seconda prattica» symbolisée par la basse continue. La mélodie est placée à la voix la plus aiguë, la basse porte le système harmonique, on s’oriente gentiment vers un système tonal et non plus modal. Ce concept est toujours valable pour le jazz et toutes nos musiques actuelles. Écoute par exemple la piste 6 «Madrigals, Book 9 - Si dolce è 'l tormento». N’est-ce pas déchirant?

 

MIAOU, GROOVE, BASSO OSTINATO ET IMPRO

La musique baroque en général et Monteverdi en particulier possèdent plusieurs caractéristiques communes avec le jazz, aussi étonnant que cela puisse paraître. Comme par exemple la manière de phraser, liée notamment à la forme des archets qui ne donnent pas le même poids au début, au milieu et à la fin du son - ce que les mauvaises langues appellent faire «miauler» les notes. Tu vois ce que j’entends? Piste 7 «L'Orfeo - Sinfonie & Moresca». Cette esthétique s’apparente en quelque sorte au groove, au swing.

 

Particulièrement présente dans ce disque est la basse obstinée, un motif construit sur quelques notes, qui se répète tout au long de la pièce et sur lequel se basent l’harmonie et la mélodie: entre autres les pistes 5 (on pourrait chanter Hit the road Jack sur ce tétracorde descendant!), 9, 16. C’est un procédé classique en jazz, surtout quand il est élaboré en walking bass.  Dans la piste 2 «Madrigals, Book 9 - Ohimè ch'io cado», Christina Pluhar et son équipe exagèrent un peu tout de même, mais ils ont bien raison et l’exemple est édifiant!

 

On peut encore tirer d'autres parallèles concernant le traitement rythmique de ces musiques souvent dansées et accompagnées de percussions, ainsi que la part d’improvisation qui est fondamentale dans les deux styles.

 

CELA LAISSE SONGEUR...

Pourquoi tant de caractéristiques communes dans des musiques que tout sépare? On n’imagine pas un continuum, une pratique musicale qui aurait été importée en Amérique avec le Mayflower et aurait couvé pendant près de 300 ans pour finalement éclore à l’aube du XXème siècle à travers les chants des esclaves dans les plantations de coton. Surtout que le jazz tire ses origines également des danses des colons et de la musique d’église du XIXème siècle, qui étaient depuis longtemps en rupture avec la musique baroque.

 

Ou alors ces paramètres communs font-ils partie de notre ADN? Rien de moins universel pourtant que le goût musical, qui est vraiment lié à la culture à laquelle on appartient. Il ne s'agit pas d'avoir beaucoup étudié une musique pour être capable de l'apprécier, mais plutôt du formatage qu'opère une civilisation sur nos êtres. Tu seras peut-être aussi déçu(e) que moi, mais nous autres Européens ne comprenons pas réellement comme ça, à froid, des œuvres «exotiques» et très élaborées comme par exemple les gamelans balinais ou l’opéra de Pékin. Nous y trouvons du charme, une fascination peut-être, mais ne les apprécions pas pour les bonnes raisons, du moins pas pour les mêmes raisons que les auditeurs issus de ces cultures. J'en reviens à cette idée de permanence dans le goût pour la musique improvisée, dansée, aux phrasés chaloupés: croire qu'il est intrinsèque de l’humain reviendrait également à supposer que nous ne nous retrouvons pas dans les autres styles, ce qui n’est heureusement pas le cas, n’est-ce pas?

 

PUR TI MIRO, PUR TI GODO,
PUR TI STRINGO, PUR T’ANNODO;

PIÙ NON PENO, PIÙ NON MORO,
O MIA VITA, O MIO TESORO!

Je te laisse méditer avec ce dernier extrait, un des plus beaux duos d’amour de l’histoire de l’opéra: Piste 3 «L'Incoronazione di Poppea - Pur ti miro». Le rôle de Néron est une voix de mezzosoprano, à l’origine pour castrat. Philippe Jaroussky, contre-ténor magistral, nous donne ici avec Nuria Rial une interprétation sublime. Qui tient à beaucoup de paramètres et peu de choses en même temps: le bon tempo, des mélodies bien conduites et appuyées là où il faut, la fusion des timbres, le dialogue avec les instruments... Des variations subtiles peuvent rendrent le tout toujours excellent, mais pas aussi magique, comme on peut le constater dans la même version en live, à partir de 1’19 - où la prise de son joue aussi un rôle, à la décharge de nos artistes.

 

Monteverdi fait non seulement la transition entre deux ères, anticipe sans le savoir un genre qui apparaîtra trois siècles plus tard, mais renoue en outre avec les origines de la civilisation occidentale: le «dramma per musica» Orfeo, mythe antique par excellence pour un musicien, tente en effet de ressusciter le théâtre grec antique, ou du moins l’image qu’on s’en faisait. Notre cher Claudio embrasse ainsi, à la louche, 2500 ans de musique.

           

L’ACTU DES ARTISTES

Pour aller plus loin dans les rapprochements entre musique baroque et jazz et pour entendre l’Arpeggiata en concert,  tu pourras découvrir le programme «Music for a while», où Christina Pluhar et ses musiciens improvisent sur la musique de Henry Purcell:

 

À Lucerne le 30 décembre
À Riehen le 31décembre

 

Si l’approche de Christina Pluhar t’a convaincu(e), regarde un peu aussi les autres albums de l’Arpeggiata. On y trouve les Vêpres de Monteverdi, un autre opéra des origines, «Rappresentatione di Anima, et di Corpo» d’Emiliano de’ Cavalieri, mais aussi de sacrées perles, comme «La Tarantella: Antidotum Tarantulae», ou une incursion dans le Nouveau Monde et ses rythmes endiablés avec «Los Pájaros Perdidos».

 

Nuria Rial sera enfin, et tout bientôt, à la Kirche St. Jakob de Cham pour la Messe en si de Bach:

 

Nuria Rial, soprano
Ingrid Alexandre, alto
Jakob Pilgram, ténor
Markus Volpert, basse 

 

Chor Audite Nova Zug
Capriccio Barockorchester
Johannes Meister, direction

 

Samedi 19 septembre à 20h
Dimanche 20 septembre à 17h