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GEORGES MALBRUNOT

georges

Qatar papers 280

Pas une très belle couverture mais un ouvrage intéressant: il révèle que 140 projets européens ont bénéficié de soutiens financiers de la Qatar Charity, organisation caritative financée entre autres par la famille régnante al-Thani.
Cette organisation a également longtemps versé un salaire de 35 000 euros mensuels à Tariq Ramadan...

 

 


HISTOIRE ÉPAISSE ET FINANCEMENT OPAQUE

Texte: Aux arts etc.


L'info dans notre agenda: ici

De son intérêt pour le Moyen-Orient aux révélations des «Qatar Papers»

La modération de la rencontre était assurée par Anne Fournier, journaliste.



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Georges Malbrunot était le cinquième invité francophone des rencontres du Musée National (Dienstagsreihe) ce mardi 7 mai 2019. Grand connaisseur du Moyen-Orient, ancien otage en Irak, il a co-écrit avec Christian Chesnot: «Qatar Papers: Comment l'émirat finance l'islam de France et d'Europe». L'ouvrage est paru le 4 avril dernier chez Michel Lafont.

UNE RÉGION OÙ «L'HISTOIRE EST ÉPAISSE»
Jeune journaliste à La Croix, au service de politique intérieure, Georges Malbrunot est envoyé en 87/88 en Israël pour couvrir la première Intifada. Il découvre alors la richesse et la complexité de la région. Quelques années plus tard, il s'installera  comme correspondant indépendant à Jérusalem. Du Mont des Oliviers, il n'est pas difficile de réaliser que «l'histoire est dans cette ville et cette région un peu plus épaisse qu'ailleurs». Alors quand le virus est là, il est difficile à chasser. Le fait d'être otage pendant quatre mois en Irak en 2004, ne l'a pas empêché d'avoir envie d'y retourner. Il a assez vite refermé le tiroir de ce moment de captivité et considéré cet épisode comme «un accident de travail».

LE MÉTIER DE CORRESPONDANT
Le Moyen-Orient est un puzzle. Il faut du temps pour assembler les différents morceaux et comprendre ce qui se passe vraiment. Georges Malbrunot insiste aussi sur le fait que, pour pouvoir bien faire son travail de correspondant ou de journaliste spécialisé, il faut «cultiver ses sources». Pour son dernier ouvrage, tout est parti de documents reçus par un donneur d'alerte. Ceux-ci ont permis de prouver ce que d'autres avaient émis comme hypothèse auparavant, à savoir que la plus puissante ONG de l'émirat du Qatar (la Qatar Charity) finance des projets un peu partout en Europe, l'Italie en étant le premier pays bénificiaire. Avec son confrère Christian Chesnot, il a réuni tous ces documents, procédé à des interviews dans six pays européens et rédigé son ouvrage sur les Qatar Papers. Un ouvrage a souvent plus de poids qu'un article, qui est rapidement écrit, assez vite lu et fréquemment oublié.

LIEUX DE CULTE ET CENTRES CULTURELS
Les 140 projets financés par la Qatar Charity et listés dans le livre des deux journalistes sont des lieux de culte, mais aussi des centres culturels ou des lieux de vie (comme à Mulhouse). En Suisse,  cinq structures ont reçu des fonds, dont le Musée de civilisation de l'Islam qui a ouvert en 2016 à la Chaux de Fond. Il y a quelques jours, on apprenait que le financement qatari allait cesser dans le canton de Neuchâtel. Comme quoi, les livres et les révélations qu'ils contiennent peuvent avoir des effets importants (cf. le sujet de la RTS)!

PLUS DE TRANSPARENCE
Le financement de lieux de culte par des organisations étrangères n'a rien d'illégal en soi. Il est même compréhensible si les moyens internes et nationaux sont insuffisants. Mais le danger réside dans l'opacité des structures qui assurent ce financement. Car «qui finance, influence». Il est donc important de savoir qui se cache derrière les sources de financement et à quelles fins. Le livre de Malbrunot et Chesnot a surtout pour objectif de mettre en garde contre l'influence de l'islam politique en Europe, notamment au niveau local. Car les élus locaux souvent par clientélisme (dans certaines communes, 30% des électeurs sont musulmans), naïveté ou  facilité, ne veulent pas savoir exactement comment les projets sont financés. Il règne souvent un silence un peu lourd sur tous ces sujets. Or, il est essentiel d'en parler, de promouvoir une plus grande transparence, de lutter contre le communautarisme.  Les partis politiques notamment doivent prendre position et ne pas laisser les extrêmistes capter le sujet. 

SOFT POWER ET INFLUENCE
La France est devenue un pays «pauvre», qui doit jongler entre exigences de politique intérieure et extérieure et enjeux économiques. Si elle fait preuve de complaisance à l'égard de certains pays et ferme les yeux sur le soft power qatari, sa quête d'honorabilité et d'influence, c'est qu'elle n'a peut-être plus les moyens de faire autrement. C'est surtout depuis la présidence de Nicolas Sarkozy que l'influence du Qatar a pris son essor dans le pays, avec des investissements dans l'industrie, l'immobilier, le sport. Le livre montre qu'il est également devenu «un nouvel acteur majeur sur le marché de l'islam».

Derrière tout cela, il y a l'influence des Frères musulmans, c'est à dire d'un islam rigide et liberticide et un mouvement élististe et transnational qui a le culte du secret. Bien que très minoritaires dans la population, les structures évoluant dans leur mouvance sont surreprésentées dans les organisations faîtières, souvent partenaires des autorités dans les négociations et discussions.

QUELLES VOIES?
Difficile à dire. En France, Emmanuel Macron et Christophe Castaner planchent depuis quelque temps sur un projet de loi qui vise à lutter contre l'islam politique. Mais le projet a dû être reporté à plus tard.
Pour ce qui est de la situation en Suisse, Madame Saïda Keller Messahli, invitée pour la dernière partie de la rencontre, précise qu'il faut se rendre compte que 90% des musulmans sont modérés. La plupart des 400 000 musulmans de Suisse ne fréquentent donc pas ces mosquées au financement opaque, il est essentiel qu'ils aient la parole.

Toute la discussion fait bien comprendre combien le sujet est   délicat. Les risques d'amalgame existent. Georges Malbrunot le précise à moult reprises, il faut être conscient des dangers de l'islam  politique, aussi pour mieux défendre la grosse majorité des musulmans d'Europe.
(Zurich, SCZ, 09/05/2019)