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BAGHDAD IN MY SHADOW

jonone1 280Merveilleuse actrice (Zahraa Ghandour) qui interprète le rôle d'Amal, la femme qui a dû fuir pour s'émanciper. jonone2 280Au café Abu Nawas, l'architecte Amal est en cuisine. Elle a fui l'Irak en emportant des documents compromettants sur son ex-mari... Elle les confie à Taufiq (Haytham Abdulrazak), le poète exilé, ancien communiste, à la fois athée et très bon connaisseur du Coran.jonone3 280Muhanad (Wasseem Abbas) peut vivre son homosexualité à Londres. Totalement librement? Pas sûr!

BaghdadInMyShadow Filmstill 8 280Faire connaître la poésie en la publiant en version bilingue... Maude (Kerry Fox), l'amie de Taufiq, s'y essaie.

BaghdadInMyShadow Filmstill 9 280Un zeste de comédie: Au café qui porte le nom d'un des plus grands poètes arabes, Abù Nawàs, la discussion est vive et animée, souvent politique. Quant aux chansons d'antan, elles sont entonnées en chœur!
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Une ambiance de thriller: Taufiq porte un grand secret en lui. Mais lors de l'interrogatoire, il a l'impression que les agents secrets britanniques savent déjà tout et que ce qu'ils attendent de lui, c'est qu'il rejoigne leurs rangs.
Bagdad 6Nasseer, le neveu de Taufiq, se retrouve dans les filets d'un fondamentaliste à la double morale.


DESTINS CROISÉS D'IRAKIENS À LONDRES

Texte: Sandrine Charlot


QUESTIONS À SAMIR, réalisateur zurichois d'origine irakienne.

Son film «Baghdad In my Shadow», une fiction qui raconte les destins entremêlés d'Irakiens à Londres, sort le 28 novembre 2019 sur les écrans de Suisse alémanique.

De nombreuses avant-premières en présence du réalisateur sont prévues, notamment à Zurich le 26 novembre, à 20h30, au Kosmos.

En savoir plus sur les séances: ici

Pour en savoir plus sur Abu Nawas: www.actes-sud.fr/catalogue/poesie/le-vin-le-vent-la-vie

Pour en savoir plus sur les dernières décennies en Irak, la très belle websérie de Feurat Alani sur Arte. Son roman graphique vient de recevoir le prix Albert Londres 2019.

Actualité: letemps.ch/monde/milliers-dirakiens-rues-demander-un-changement-regime


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SCZ: Votre film allie mélancolie, romantisme et une certaine complexité dans la construction.
Quelques jours avant sa sortie en salles, êtes-vous nerveux?

S: Ces derniers jours, j'ai présenté le film à Thusis, à Baden, à nos amis paysans de Lavin, à Einsiedeln, à Bâle hier. Tous les spectateurs ont été touchés par ce film, peut-être car c'est un film MÉLANCOLIQUE en effet et que la mélancolie, c'est quelque chose d'universel. Je crois que c’est un sentiment que ressentent toutes les personnes qui n’habitent pas chez elles, et c'est tout à fait normal. Bien sûr, il y a celles qui ont choisi de partir et celles qui ont été obligées de le faire et, dans le film, mes personnages ont été obligés de s'exiler. Cette mélancolie s'exprime notamment dans les chansons qui passent dans le café Abu Nawas, où mes personnages se retrouvent.

Je ne sais pas si c'est un film COMPLEXE. Mais j’ai choisi de raconter l’histoire de trois tabous importants, existants dans les pays arabes – et qui ont d’ailleurs aussi été des tabous ici jusqu’à peu - la libération des femmes, l’athéisme et l’homosexualité. Et tous les trois sont très liés les uns aux autres. Alors pour en parler, j'ai créé des personnages. Et comme rien n'est simple en la matière, Zeki par exemple, le patron du café, est surpris que la jeune Amal sorte avec Martin, un anglais! Et pourtant, lui-même a eu un fils avec une musicienne anglaise. Il y a souvent deux poids, deux mesures dans l'esprit des gens, ils sont pleins de contradictions, de préjugés qu'il faut déconstruire. 
Ce qui est sûr, c'est que la bataille centrale, ce sont les femmes qui doivent la mener, partout. Car les gens au pouvoir ont toujours essayé de contrôler le plus possible les corps. L'acceptation de l'homosexualité, c'est une partie de ce combat sur les corps.

Quant au ROMANTISME que vous avez évoqué, c'est moi! J’ai grandi à Bagdad dans la maison de mon grand-père. Nous habitions tous ensemble avec mes oncles et mes tantes. Et c’est avec ces dernières,  qu'enfant, j'allais au cinéma voir les films romantiques égyptiens un peu kitsch et les grandes sagas de Bollywood. J'ai sans doute absorbé tout cela. Car moi-même, j'ai été surpris, à la fin de voir comment j'avais mis en scène certains des épisodes du film, les dialogues dans le café par exemple.

ATMOSPHÈRES...

SCZ: Au niveau esthétique, il me semble que vous avez particulièrement soigné les atmosphères et les couleurs. A chaque atmosphère, sa couleur: jaune pour les scènes d'intérieur, notamment les discussions chaleureuses dans le café, blanc pour l'interrogatoire et bleu, pour tous les paysages urbains que vous filmez.

S: C'est mon œil de cameraman,  quelque-chose de sous-cutané chez moi. C'est comme tous les détails des décors, j'y attache une très grande importance. Ainsi il y a beaucoup de photos au mur, mais aussi les vieux clips des chansons des années 50 en noir et blanc qui passent en fond sonore. Ces chansons donnent une idée de la modernité du passé dans les pays arabes. Elles  émeuvent et touchent profondément les membres de la diaspora. Certains parlent de «sociétés parallèles». Moi, qui connais ce monde, je voulais montrer que les étrangers ont les mêmes problèmes que les autres, sauf qu'ils ont connu plus de violence et d'injustice.

MODERNITÉ ARABE

SCZ: Amal est architecte, Taufiq, poète et Muhanad, informaticien. Ils reconstruisent leur vie à Londres, comme ils le peuvent mais sans amertume. Tous se retrouvent au café Abu Nawas, du nom d'un grand poète du IXème siècle. (D'ailleurs, merci de nous faire découvrir ce poète impressionnant, ce libre-penseur qui aimait les jeunes gens et tous les plaisirs : «L’homme est un continent dont la femme est la mer
Or, moi ce que j’aime, c’est la terre ferme!»).

S: Mon père récitait toujours les textes des anciens poètes, Abu Nawas, mais aussi bien d'autres. Cela m'impressionnait, adolescent de savoir que ces textes avaient certains plus de 1300 ans, mais qu'ils restaient si forts. Dans ce film, je veux aussi montrer qu'à la fin des années 50, la modernité existait en Irak. Toute une génération de jeunes architectes s'est adjoint les services de stars comme Le Corbusier, chargé de dessiner un collège, ou Gropius, qui a conçu le campus universitaire. L'une des rares scènes tournées à Bagdad montre Amal dans cette université. 
D'ailleurs, depuis début octobre, les jeunes manifestent à Baghdad, place Tahrir (place de la liberté). Or, le monument qui s'y trouve, il date de cette période, il a été conçu par Jawad Saleem pour commémorer l'indépendance de l'Irak. C'est un tout un symbole.

SCZ: N'auriez-vous pas envie d'être à Bagdad en ce moment?

S: C'est vrai que ce qui se passe en ce moment en Irak est saisissant et nouveau. Il y a eu plusieurs fois des révoltes, mais là, je crois qu'on peut parler de révolution. Même avec plus de 300 disparus parmi les manifestants et de nombreux blessés, le mouvement ne faiblit pas. Les manifestants réclament un changement de régime et le mouvement est en train de s'étendre à tout le pays, du nord au sud. Moi, j'ai fait des films sur le passé, il paraît que ceux-ci ont fait réfléchir («Forget Baghdad», «Iraqi Odyssey»). C'est comme cela que j'agis. C'est une autre génération qui est dans la rue aujourd'hui - celle de la jeune actrice du film qui est aussi active en ce moment. C'est à cette génération de réfléchir et de documenter. Moi, je présente mon film. Et déjà cela, ce n'est pas si facile. Dimanche prochain, je le présenterai au festival du Caire. Mais pour ce faire, j'ai dû couper deux scènes, celles des actes sexuels. Il me semble que d'autres scènes, dans le club gay par exemple, sont bien plus «hot». Pour moi, ce qui est important, c'est que ce film soit aussi vu dans les pays arabes.

C'est certes une fiction, mais constituée à partir d'une multitude de petites histoires réelles que j'avais emmagasinées. Présenter le film, en discuter avec le public, voilà mon rôle aujourd'hui.

ZH_ SCZ_ 18/11/2019