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LES MISÉRABLES

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jonone2 280Issa (en T-shirt clair) raconte à ses copains qu'il a vu un type brûler vivant

jonone3 280Trois flics, trois méthodes


LES JEUNES DES BANLIEUES FRANCAISES, GRENADES DÉGOUPILLÉES

Texte: Valérie Lobsiger


LES MISERABLES, UN FILM DE LADJ LY (1H40), GRAND PRIX DU JURY AU DERNIER FESTIVAL DE CANNES

SUR LES ÉCRANS SUISSES ALÉMANIQUES À PARTIR DU 9 JANVIER 2020

Et au Festival de films sur les droits humains à Zurich les 6 et 10 décembre : projections scolaires avec nous!

Au Lunchkino du 2 au 8 janvier 2020


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LADJ LY A GRANDI A MONTFERMEIL, IL SAIT DE QUOI IL PARLE ET ÇA SE SENT.
Depuis ses premières vidéos tournées après les émeutes en région parisienne de 2005, Ladj Ly montre ce qui se passe dans les cités ou les quartiers HLM. Lui-même a grandi aux Bosquets, à Montfermeil en Seine Saint Denis (93) et c’est clairement son sujet. Pour cela, pas de parti pris. Il place dos à dos celui qu'on appelle «le maire» (Steve Tientcheu) qui a l’air d’un chef de gang imposant sa loi et non celle de l’Etat, des flics de la BAC (brigade anticriminalité) qui ont pour principe d’avoir toujours raison («si tu veux t’excuser, tu vas bosser comme larbin dans un palace», lancent-ils au nouveau) et divers caïds qui se partagent le quartier en zones d’influence. Voilà pour la répartition locale du pouvoir. Les figurants n’ont pas voix au chapitre; ce sont des mamas impuissantes, des hordes de gamins tels Issa ou Buzz qui, à force de se faire rudoyer par les uns et les autres, vont perdre leur dernière part d’innocence (l’un recueille un bébé lion, l’autre joue au drone). On comprend très vite que c’est bien là où réside le danger: une jeunesse poussée à bout, désespérée, prête à toutes les extrémités. Quel sera le détonateur? On ne va pas tarder à le savoir.

UNE TENSION DRAMATIQUE FORMIDABLE TIENT LE SPECTATEUR EN HALEINE DU DÉBUT À LA FIN. Le cinéaste nous place d’emblée dans la voiture des flics, avec l’arrivée d’un bleu, le brigadier Stéphane Ruiz (excellent Damien Bonnard dont le visage donne à lire les doutes intérieurs). C’est en sa compagnie qu’on passe sa première journée, aux côtés de deux affreux ripoux, Chris (Alexis Manenti), surnommé cochon rose, et Gwada (Djibril Zonga), musulman né et vivant dans le quartier. Ces deux-là roulent des mécaniques depuis dix ans sans se poser la moindre question. Leur mission, du moins telle qu’ils l’entendent? Veiller à la préservation du précaire équilibre entre les forces en présence, éminemment hostiles les unes aux autres. Une poudrière, que la disparition de Johny dans le clan des gitans menace. Johny? Juste un lionceau dont son maître promet pourtant de répandre le sang et la terreur s’il ne le récupère pas dans les 24 heures. Voilà la mécanique remontée. La situation va encore s’aggraver lorsqu’Issa, vite retrouvé grâce à une photo postée sur Instagram («ces abrutis ne peuvent pas faire une connerie sans la poster sur les réseaux sociaux»), est victime d’un tir policier en plein visage. Au lieu d’emmener l’enfant à l’hôpital, les flics minables préfèrent récupérer la vidéo de Buzz ayant filmé la scène. Grave injustice qui va leur faire perdre leur peu de contrôle et mettre définitivement le feu aux poudres. Issa et Ruiz, luttant contre la fatalité de leur destin, finissent dans un face à face au choix contradictoire (et probablement funeste), dans la pure lignée des tragédies classiques.
Du grand art!
VL, 27.11.19

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