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ANDRÉ DOUTREVAL

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UNE VIE ENTIERE CONSACRÉE A LA DANSE

Texte: Valérie Lobsiger


«Ein Leben für den Tanz, Die Geschichte einer Leidenschaft», Rüffer &Rub éditeur

Sortie: Mai 2020

En savoir plus: https://www.ruefferundrub.ch/component/content/article/16-buecher/biografie/688-andre-doutreval?Itemid=101



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Pour le spectateur de ballets, hauteur des sauts, maitrise du corps, fluidité des bras, tout semble aller de soi. On ne soupçonne rien du travail et de la volonté qu’il a fallu pour en arriver là. André Doutreval, danseur soliste renommé dans toute l’Europe du nord, chorégraphe et pédagogue de danse, en rend compte dans une biographie qui parait ces jours-ci (Ein Leben für den Tanz, Die Geschichte einer Leidenschaft, Rüffer &Rub éditeur). Rencontre avec ce Bernois d’adoption dont le nom d’artiste nous évoque un héros romantique sorti tout droit des pages de Chateaubriand et Nerval.

DANS SON APPARTEMENT, des caisses s’empilent un peu partout. C’est avec des sanglots dans la voix que l’artiste, né à Vienne en 1942, nous confie sa décision de quitter l’appartement où il vécut avec sa femme Silvia Haemmig, emportée par un cancer il y a deux ans. Derrière des lunettes rectangulaires, son regard bleu lavande s’éclaircit pour évoquer son engouement pour la danse, passion partagée avec son épouse bernoise, elle-même maître de ballet et chorégraphe. Et soleil de ses 56 dernières années.

IL ÉVOQUE RAPIDEMENT SA CARRIÈRE. Oui, il a toujours voulu danser. A 6 ans, il prend déjà des cours. A 8 ans, il s’inscrit en cachette de sa mère aux examens d’entrée de l’opéra de la ville de Vienne où, au terme d’un drastique apprentissage, il intègre en 1958 le corps de ballet parmi les meilleurs élèves. Il aurait pu s’arrêter là, mais une vie d’ « appointé » ne lui disait guère. Il se produit dans plusieurs théâtres et participe au festival d’opérette en plein air de Mörbisch en Autriche. Puis débute une carrière de danseur solo avec des engagements à Klagenfurt, Berne (où il rencontre Silvia), Wuppertal, Düsseldorf, Frankfort et Berlin (où, à 25 ans, il est premier danseur solo de l’Opéra). Il endosse, à 28 ans seulement, le rôle de directeur de ballet et de chorégraphe au théâtre de la ville de Kassel. Il s’en retire fin 1975 pour oser l’indépendance. A Kassel (où ils peuvent ainsi inscrire à l’école leur fils de 6 ans) il crée avec Silvia l’école de ballet Doutreval qui offre à leurs 150 élèves des cours de danse classique, de jazz ou de stepp. Pour continuer de donner libre cours à leur créativité, ils fondent en 1978 un théâtre de danse nommé « Ballet-Arena-Kassel ».

André Doutreval est considéré à bien des égards comme UN PIONNIER. Parmi la quarantaine de ballets qu’il chorégraphia, deux relèvent de l’intuition visionnaire : « Crash » en 1982, qui met en scène une société décadente menée par un robot, et « Die umweltliche Geschichte » (1985), où il se préoccupe d’environnement. Il est aussi le premier à avoir lancé des ateliers de danse classique tout public, comprenant une partie théorique, suivie d’un entrainement et d’une représentation. Sa pédagogie se base sur le développement de la musicalité, l’harmonie, la perception du corps, tout en encourageant tolérance et confiance en soi: des valeurs en avance sur leur temps. Il compare la pénibilité du métier de maçon à celle, bien pire, de sa profession. Un maçon, dit-il, ne doit pas lever plus de 15 kg d’une main, et 25 des deux. Nous, nous devons soulever cent fois les corps de nos partenaires au cours des répétitions. Au plus tard à 40 ans, un danseur raccroche et il n’a «aucun lobby derrière lui pour le soutenir». C’est pourquoi il plaide avec ferveur pour une seconde formation des danseurs au sein de leur académie (créateur de lumière, de son, de décors, de masques, de costumes…) afin qu’ils ne se retrouvent pas sur le pavé le moment de la «retraite» sonné. Heureusement, lui, avait un penchant pour la chorégraphie et il a commencé à songer très tôt à sa reconversion.

Quand, en 1995, le couple cède son école de Kassel à Verena Renner, Doutreval parle des merveilleux moments passés avec sa femme. Ils viennent s’installer à Berne («la ville de mon cœur» dit-il) et séjournent fréquemment en Espagne, pays dont ils sont tombés sous le charme. Ah, Cordoue et sa mosquée-cathédrale! Tout un symbole, s’enflamme-t-il, avant de lancer un coup d’œil ému au portrait photographié de Silvia, accroché au mur derrière notre dos.

VL, mai 2020, pour Le Courrier de Berne