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NOSTALGIE DE LA NATURE

jonone1 280Mei Qing (1624–1697), Vues célèbres de Xuancheng, dynastie Qing, daté 1679/80, album, 24 feuillets, encre et couleurs en papier, 27 × 54,5 cm, donation Charles A. Drenowatz, ©Museum Rietberg, photo: Rainer Wolfsberger

Museum Rietberg 2 Huang Yan IP HY 01Huang Yan (né en 1966), Chinese Landscape – Tattoo, No. 7 , daté 1999, C-Print, 80 × 100 cm, © l'artist, avec l'autorisation de Fondation INK
Museum Rietberg 9 Yang YongliangYang Yongliang (né en 1980), Phantom Landscape, daté 2010, video, 3:23 min, dslcollection, Paris, © Yang Yongliang, avec l'autorisation de Yang Yongliang Studio
Museum Rietberg 18Liu Guosong (né en 1932), Snow, daté 1967, rouleau vertical, encre et couleurs sur papier, donation Charles A. Drenowatz, Museum Rietberg

 


L'ART CHINOIS À L'ÉCOUTE DU PAYSAGE

Texte: Laurence Hainault Aggeler


Au Musée Rietberg, une exposition magnifique se termina un mois trop tôt.

«Nostalgie de la nature. L’art chinois à l’écoute du paysage»: Le retrait comme nouvelle forme d’opposition

L'expositon aurait dû durer jusqu'au 17 janvier 2021: en savoir plus sur le site du Musée ici


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NOSTALGIE DE CETTE «NOSTALGIE…. »
Photographies, vidéos, peintures à l'huile, dessins à l’encre, sculptures, écrits littéraires et philosophiques, au Musée Rietberg de Zurich, toute une poésie du paysage s’est déclinée dans la grâce et la subtilité. Les salles vides et aseptisées accueillaient les visiteurs masqués dans un des derniers refuges pour individus en mal de ressourcement culturel. Depuis le 22 décembre, les musées sont fermés. Cet article posthume veut rendre hommage à l’une des plus belles expositions zurichoises et donner quelques idées pour découvrir en ligne les œuvres et les pensées traditionnelles et contemporaines venues de l’Empire du Milieu.

ENERGIES COMPLÉMENTAIRES
En chinois le mot «paysage», «shanshui», associe littéralement les mots «montagne» (shan), et «eau», (shui), une façon de refléter les actions des énergies opposées et complémentaires dans un univers animé par le souffle cosmique. Sur les éventails du Xe siècle, les jours s’allongent dans la montagne pour l’heure de la méditation qui préserve l’intégrité morale. Et le bain de pieds dans le ruisseau débarrasse le voyageur de la poussière du monde profane.

S’OPPOSER EN S'ISOLANT
Par tradition, poésie et peinture sont des alliés au bout du pinceau. Dès le troisième siècle, le peintre lettré réunit en une seule œuvre le poème qu’il a composé et calligraphié à la représentation du «shan/shui». L’écriture peut communiquer des sentiments personnels, mais elle recèle souvent des allusions politiques cachées. Les amateurs d’art ajoutaient leurs commentaires et la peinture devint ainsi un lieu d’échange intense autant sous la dynastie Ming du XIVe siècle, que pendant la conquête brutale par les Mandchous au XVIIe siècle.

Manifester son opposition au souverain étranger en s'isolant, peignant, écrivant, fut un impératif. Puis le choix d'une vie simple et proche de la nature, loin des obligations professionnelles, des intrigues politiques et des contraintes sociales devint un idéal et le thème de l’ermite se fit récurrent.

RETROUVER L'UNITÉ PERDUE
Dans le contexte actuel du changement climatique, de l’urbanisation et de la digitalisation, l’avant-garde chinoise se nourrit des influences de l’Occident, mais elle réinterprète aussi son héritage artistique. D’où l’intérêt de confronter les grands maîtres du paysage classique aux artistes contemporains issus de la République populaire: écrivains célèbres mais aussi fonctionnaires, peintres amateurs, politiques. Si leurs points de vue sont multiples, leur message vise à retrouver l’unité perdue entre l’homme et la nature.

COUPS DE COEURS CONTEMPORAINS

L’INSTALLATION DE LIANG SHAOJI, «BROKEN LANDSCAPE», ce long matériau délicat tissé par des vers à soie, évoque en filigrane une chute d’eau dévalant jusqu’au sol. L’œuvre intemporelle émeut au-delà du dicible.

LES PAYSAGES IMAGINAIRES DE GAO XINGJIAN nous font voyager au fil de l’encre. Le prix Nobel de littérature reprend dans les dessins ombrés ses thèmes de prédilection: la fuite et la solitude de l’introspection. «Celui qui a pris pleinement conscience de lui-même est toujours en exil».

«HERE OR THERE?» du couple de photographes LIN TIANMIAO ET WANG GONGXIN montre des créatures féminines fantomatiques. Clonées, les bras levés dans un même élan, celui des branches dénudées des buissons environnants, elles contemplent les montagnes désolées. Appel à la purification?

«LAKE PINE TREE» de l’artiste conceptuel, SHI JINSONG, a combiné des éléments d’arbres morts avec de gros écrous industriels pour reconstituer un pin. Le matériau naturel réagencé brutalement semble adresser un adieu à une époque en voie de disparition. L’ombre portée par l’éclairage accentue le côté dramatique de cette construction. En Chine l’arbre revêt un fort contenu symbolique d’intégrité, de droiture, de ténacité et de modestie. Autant de vertus en déclin.

L’installation vidéo apocalyptique de YANG YONGLIANG. «PHANTOM LANDSCAPE» figure une lutte intrinsèque entre la ville et la montagne. L’urbanisme finit englouti. La nature gagnerait donc toujours.

NOSTALGIE DE LA NATURE OU NOSTALGIE D'UN ORDRE RÉVOLU?
Comment décrire le changement? Comment l’être humain peut-il se comporter face au nouvel environnement? Les 80 œuvres et leurs légendes ont tenté d’apporter un début de réponse. Mais si peu de visiteurs y auront finalement accédé! Nous vous conseillons vivement de consulter le site du musée sur cette exposition. Vous pourrez y découvrir les artistes et leurs œuvres, méditer sur leurs messages. Après tout, notre époque est aussi devenue celle du retrait, du temps octroyé pour définir une nouvelle forme d’opposition.

L.H.A 12/2020