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LA FONTAINE ... ET NOUS

jonone1 280Un livre fabuleusement illustré par Alice Lobsiger...jonone2 280La grenouille qui voulait se faire aussi grosse que le boeuf. jonone3 280 Yves Seydoux et Valérie Valkanap seront à Zurich avec nous e 26 novembre à 18h au Theater Stok.


DES RÉCITS VIFS, COURTS, RYTHMÉS ET DES PERSONNAGES SUR FOND DE NATURE EXHUBÉRANTE

Texte: Sandrine Charlot Zinsli


A l’occasion de la sortie du livre bilingue français/suisse alémanique «Zwölf Fabeln/Douze Fables de La Fontaine» aux éditions Plumes d’aujourd’hui, nous avons interviewé Valérie Valkanap qui a initié le projet.

Vernissage du livre à Zurich dimanche 26 novembre à 17h30 au Theater Stok dans le cadre des 20 ans d'Aux arts etc.

A cette occasion: Valérie Valkanap et Yves Seydoux joueront quelques-unes de ces fables, elle, en français, lui, en suisse-allemand.

Yves et Valérie étaient invités du forum des idées sur la RTS le 8 novembre: https://www.rts.ch/play/tv/forum


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SCZ: En quoi La Fontaine est-il toujours actuel?

VV: «Les Fables de Jean de La Fontaine» ont beau avoir plus de 300 ans, elles n’ont pas pris une ride. Sous couvert de figures animalières moins redoutées des censeurs de l’époque, ces fables nous éclairent sur les travers et qualités de la nature humaine.
Quelles que soient les cultures, les langues ou les religions, rien de ce que ces animaux nous transmettent ne saurait nous être étranger. Ces récits vifs, courts, rythmés nous divertissent autant qu’ils nous font réfléchir. Le lecteur, et en premier lieu l’enfant, sait parfaitement qu’on parle de lui. S’il arrive à rire de ses déboires, alors la Fable, qui l’aura réconforté en lui montrant qu’il n’est pas le seul à souffrir de ses faiblesses, lui sera bénéfique.

SCZ: Sur quels critères avez-vous choisi ces douze fables?

Nous avons choisi quelques-unes parmi les plus connues («La Cigale et la Fourmi», «Le Corbeau et le Renard») et d’autres qui l’étaient moins («Les Animaux malades de la peste», «Le Savetier et le Financier») en veillant à ce qu’elles restent toutes faciles à comprendre.

SCZ: Vous avez joué ces fables pour des classes, quel a été l'accueil?

VV: Ce n’est pas exactement ça. Au départ de notre projet, il y a eu, entre autres, une demande émanant de Marie-Rose Gillmann d’animer, avec une classe d’élèves de l’Ecole Internationale Française de Berne, un divertissement à l’occasion du festival bilingue du livre jeunesse bernois, en juin 2022, avec pour consigne de créer un lien au spectacle Simili qui suivrait. Or Simili a la particularité de chanter en allemand les chansons de Georges Brassens. Nous avons donc régulièrement rendu visite à cette classe afin d’élaborer ensemble une trame dans laquelle nous avons incorporé quelques fables jouées par les élèves. Yves Seydoux, co-auteur des traductions, avait déjà commencé son travail en suisse-allemand (sans savoir à ce stade qu’il en adviendrait un livre!) et nous avons pu aussi leur en faire dire en dialecte. Comme ces enfants, très éveillés, avaient tous envie de communiquer, ce fut une expérience enthousiasmante. Je me réjouis d’ailleurs de les revoir tout prochainement pour travailler avec eux sur d’autres fables, l’objet de nos rencontres étant cette fois l’art de la narration.

SCZ: Pour les illustrations, il y a un choix évident de la couleur, de l'opulence et de la fantaisie. Avez-vous laissé toute liberté à l'illustratrice?

VV: Ce qui nous a d’emblée plu est l’originalité des dessins de l’illustratrice Alice Lobsiger, diplômée de la HKB, la haute école des beaux-arts à Berne. C’était nouveau, mais cela s’inscrivait dans la continuité de l’histoire de l’art (quelqu’un a fait un rapprochement avec les xylographies de Félix Vallotton). Elle usait d’un fort contraste entre les noirs profonds et les blancs purs, dessinant des formes sinueuses et dynamiques, des personnages qui se découpaient sur fond de nature exubérante. Nous avons donc soumis ce projet et les premières illustrations des Fables à la directrice des éditions Plumes d’aujourd’hui, Sophie Mastelinck.
Celle-ci a été sensible à l’aspect inédit d’une édition des Fables de La Fontaine en suisse alémanique, ainsi qu’à la façon dont l’artiste dépassait le registre propre à l’enfance, pour proposer une appréhension à la fois moderne et iconoclaste. Comme les dessins d’Alice étaient au départ en noir et blanc, le directeur artistique des éditions Plumes d’aujourd’hui, Julien Nicaud, l’a convaincue d’introduire la couleur, ceci afin d’adoucir les images, facilitant par-là l’accès aux plus jeunes lecteurs.

SCZ : Le dialecte bernois a une musicalité particulière. On la connaît dans toute la Suisse grâce à Mani Matter ou Pedro Lenz. En quoi le bernois est-il particulièrement adapté aux fables?
 
VV: Tout d’abord, une précision. Soyons bien d’accord: ce n’est pas la vocation de l’album de figer la langue orale. Ce que nous souhaitons, nous, c’est le faire comprendre et l’aimer.
Passé le choc du fameux «Chüchichäschtli» exprimant de façon humoristique l’aspect rugueux du dialecte à l’oral, on découvre une très belle langue, riche en images, très malléable. On peut y inventer des mots à volonté et ils font souvent appel aux sens. Par exemple, quand notre fille était bébé, mon mari l’appelait «Gargarili» par référence aux sons joyeux qu’elle roulait au fond de sa gorge. Quand elle mangeait des biscuits, elle devenait «Knackovarli». Il y avait un petit nom pour chaque situation ou presque et c’était vraiment réjouissant! Et puis, j’aime beaucoup ces diminutifs dont le dialecte est truffé (Hüusli, Zitli, Bubeli, Kätzli, Gschichtli…), c’est très affectueux et désarmant. Je crois que le «Mundart» est vraiment rempli d’expressions aptes à rendre compte des histoires de Jean de La Fontaine avec la même force, la même verve et drôlerie que celles voulues par l’auteur originel. Je pense qu’au-delà de leurs particularités locales, tous les dialectes suisses alémaniques ont cette façon de parler directe, visuelle, voire lapidaire. Et c’est exactement dans ce langage inventif, affectueux, drôle et parfois même irrévérencieux que «nos» Fables ont été traduites. On y retrouve ces Goperferdeli, Auä, Es isch ä so, Geits no, etc. qui personnellement m’enchantent.

Publié le 7 novembre 2023. Complété le 9 novemre.