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POT-AU-FEU

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jonone2 280Dodin plus concentré qu'un chef d'orchestrejonone3 280Repas de fiançailles à l'automne de leur vie
Violette t Pauline aide cusinières Dodin et Eugènie dans la cuisine 280
Violette et Pauline, aides-cuisinières, Dodin et Eugénie dans la cuisine


LA PASSION DE DODIN BOUFFANT

Texte: Valérie Valkanap


Un régal pour les yeux en même temps qu’une ode à l’amour

POT-AU-FEU, LA PASSION DE DODIN BOUFFANT
Un film de Tràn Anh Hùng, avec Juliette Binoche et Benoît Magimel (2023, F, 112 mn), prix de la mise en scène au dernier festival de Cannes,

sortie sur les écrans suisses-alémaniques le 22 février 2024.


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LA CHÈRE EN CUISINE FAIT ÉCHO A LA CHAIR AU LIT, mais de façon subtile (merveille du fondu de la poire au sirop au nu endormi, de dos). Eugénie (Juliette Binoche, extraordinaire de retenue) est cuisinière depuis plus de vingt ans au château de Dodin Bouffant. Elle est aussi son amante. Dodin, lui, est connu loin à la ronde pour son art de la gastronomie. Incarné par un Benoît Magimel (magistral), son personnage est tiré d’un roman de Marcel Rouff paru en 1924. Il est entouré de quatre bons amis omniprésents. Quatre gourmets. A l’écran, on dirait qu’ils passent leur vie à manger et boire au château tout en dissertant sur l’origine des plats.

LE SPECTATEUR EST PRÉSENT DANS LA CUISINE AVEC LES ACTEURS. Le réalisateur Tràn Anh Hùng (L’odeur de la papaye verte, Cyclo) filme Eugénie cueillir les légumes au potager en prélude de sa journée. Puis, en de nombreux plans séquences, on voit Dodin et elle préparer le repas. Leurs mains s’activent, s’emparant des casseroles et lourdes marmites en cuivre (prises avec un torchon pour ne pas se brûler); ça épluche, ça hache, ça découpe dans l’entente tacite et la concentration. Le son de la friture ou des bouillons ravit nos oreilles et bientôt un miracle se produit: l’eau nous vient à la bouche! Le vol au vent, la raie à la crème, le carré de veau poilé, l’omelette norvégienne ne nous laissent pas indifférents. Les amateurs de bonne cuisine apprécieront. Au fait, saviez-vous que pour goûter pleinement un plat d’ortolans, il faut le manger en se couvrant la tête de sa serviette comme pour une fumigation ?

EUGÉNIE A LA SAGESSE DE NE PAS SE LIVRER. Elle rit mais on ignore ce qu’elle pense. Parfois, la nuit, elle laisse sa porte ouverte, parfois pas, sa manière à elle de veiller à ce que leur relation ne tombe pas dans la routine. N’est-il pas essentiel de maintenir tous ses sens en éveil (et pas seulement ses papilles) tant qu’on est vivant? Il y a cette scène bouleversante où Dodin en costume du soir lui sert aux chandelles et rien que pour elle seule un dîner exceptionnel (consommé, huitres au caviar, coq au vin) qu’elle mâche dans un recueillement émouvant. Guettant le moindre signe, Dodin est suspendu à ses lèvres. Elle pousse de petits soupirs de contentement éloquents. On se surprend à en pousser également.

TOUT LE MONDE NE MAITRISE PAS LE LANGAGE DES SENS. Ainsi ce «prince d’Eurasie» semblant sorti d’un conte de fée qui entend surprendre Dodin (et peut-être le surpasser). Il envoie un larbin convier à dîner le «Napoléon de l’art culinaire» et sa suite. Le repas, composé de trois services dont le chef nous fait lecture, tournera à l’épreuve: il durera huit heures! Magnificence et opulence n’ont rien à voir à l’affaire. Certains possèdent un don inné pour sentir la chose culinaire. Telle la petite Pauline (expressive Bonnie Chagneau-Ravoire), fille de paysans, qui rêve d’un apprentissage auprès d’Eugénie. La relève sera-t-elle pour autant assurée?

Cette histoire belle et simple convainc. Elle aiguise nos sens et ouvre l’appétit pour toutes les bonnes choses de la vie.

Valérie Valkanap
Mise en ligne le 5 février 2024