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INTIMITÉS 

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INTERPRÈTE, UN MÉTIER EXIGEANT ET RUDE

Texte: Valérie Valkanap


Intimités, de Katie Kitamara
252 pages, Stock, 2023

Traduit de l'anglais par Céline Leroy

Katie Kitamura, née en 1979, a grandi entre le Japon et la Californie. Romancière, journaliste et critique d’art établie à New York, elle est l’auteure de quatre romans, traduits en dix-huit langues. Elle enseigne également l’écriture créative à l’Université de New York. Ses deux premiers romans, The Longshot (Free Press, 2009) et Gone to the Forest (Free Press, 2013), ont été finalistes du New York Public Library’s Young Lions Fiction Award; Intimacies (Penguin Books, 2021, a été sélectionnée pour leNational Book Award. Les pleureuses (Stock, 2017), histoire de l’échec d’un mariage et d’une disparition dans une Grèce en proie aux incendies, est son premier titre traduit en français. (Fondation Michalski)


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On découvre dans ce roman combien le métier d’interprète, dont la narratrice fait profession, est non seulement exigeant, mais psychologiquement rude. A force de fidélité au langage à reproduire, il tend à occulter, pour celui qui l’exerce, la réalité de la situation dans son ensemble, allant jusqu’à la «dépersonnaliser». Cette activité engendre en outre des intimités très profondes avec les personnes pour lesquelles le traducteur travaille, que ce soit le destinataire de la traduction (au cas présent, un grand criminel de guerre), ou les autres personnes impliquées au procès telle que l’équipe des avocats de la défense. Ces intimités éminemment troublantes car contre nature (qui souhaite par exemple être apprécié par une personne accusée d’avoir commis des crimes à grande échelle?) génèrent une angoisse palpable tout au long du récit. Ce malaise déteint à son tour sur l’environnement de la narratrice dont on n’apprendra jamais le nom tant elle se place en observatrice de sa propre vie.

Nouvellement emménagée à la Haye, cette quarantenaire partage ses impressions d’autrefois non seulement sur son travail d’interprète à la Cour internationale de justice, mais aussi sur son adaptation à cette ville et sur ses relations, que ce soit avec sa nouvelle amie Jana ou avec Adriaan, son amant néerlandais non encore divorcé. Il faut aussi comprendre le titre, intimités, au sens de ces émotions et ressentis livrés tels quels, au jour le jour et sans filtre.

Comme, habituellement, on ne prend jamais le temps ni de les reconnaitre, encore moins de les analyser, le roman se lit avec un intérêt vorace. Le lecteur les reçoit dans l’espace à la fois secret, sûr et universel que seule la littérature est à même d’offrir. Rien n’est passé sous silence, ni les mensonges que la narratrice se faisait à elle-même, ni ceux que les autres lui ont fait accroire. Nos certitudes, rappelle-t-elle, peuvent voler en éclat du jour au lendemain. V.V. 20.07 25

Publié le 21 juillet 2025