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L'HOMME ÉPUISÉ

jonone1 280Finie la figure du héros flamboyant... Voici venue celle de l'homme qui a failli et qui souffre...

Groupe de Lacoon, plâtre du 19ème siècle basé sur l'ancien marbre d'origine au Vatican.
© Antikenmuseum Basel und Sammlung Ludwig, Skulpturhalle

jonone2 280L'autodérision n'est pas absente de l'exposition...

Ici Jürgen Teller, Self-portrait for Business of Fashion, London 2015, Ed.1/3, impression jet d'encre, 152.4 x 241.3 cm. © Juergen Teller

jonone3 280Confusion des genres... A quoi rêve le fils d'Hermès et d'Aphrodite lascivement allongé sur sa couche?
Aperçu de l’exposition © Musée national suisse


TORSE BOMBÉ OU ÉPAULES BASSES: DÉFILÉ DE HÉROS MASCULINS AU MUSÉE NATIONAL

Texte: Sandrine Charlot Zinsli


Landesmuseum Zürich
Museumsstrasse 2
8001 Zurich
www.landesmuseum.ch

Représentation de l'homme et de la masculinité dans la culture européenne

DU 16 OCTOBRE 2020 AU 10 JANVIER 2021


Ici toutes les informations sur l'exposition sur le site du Musée


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VIRILITÉ ET VULNÉRABILITÉ

L'exposition relate en trois chapitres comment l'idéal masculin héroïque s'effritte dès qu'on y regarde de plus près. Derrière ce récit qui fait la part belle à la dérision, la patte des deux commissaires d'exposition, bien connus du Musée national, Stefan Zweifel et Juri Steiner. Les objets, œuvres d'art et extraits de films proposés éclairent leurs propos d'une façon parfois très personnelle et tout à fait passionnante.

Image choc au début de l'exposition: Derrière la sculpture de plâtre du prêtre grec Lacoon se débattant en vain contre les serpents envoyés par Apollon parce qu'il a «pêché», Zinédine Zidane, le dieu du foot, filmé par 17 caméras et qui surgit en grand format. Le blanc devant le bleu, deux images de la virilité en mouvement. Le ton est donné, derrière les dieux, il y a des hommes et ils ne sont pas infaillibles. 

La première partie de l'exposition est conçue comme un défilé: sur le cat walk, des représentants des dieux, chevaliers, soldats, toute une cohorte virile de l'Antiquité à la fin de la première guerre mondiale. Mais, à y regarder de plus près, derrière ces idéaux se profilent la faille, la fêlure, une faiblesse. C'est Achille qui est choisi plutôt qu'Ulysse. Et dans la Victoire de Troie, c'est la ruse qui l'emporte sur la force. L'armure du chevalier est rutilante mais sa brague proéminente. La protection antigaz du poilu semble bien peu de chose pour sauver le soldat des tranchées.

1918 sonne le glas d'une époque. Difficile de ne pas voir les gueules cassées, la neurasthénie des survivants, la remise en cause des modèles dominants. L'homme a été exposé au risque, à la souffrance. Il en est ressorti tout cabossé pendant que les femmes faisaient tourner les pays. C'est alors que Marcel Duchamp s'invente un alter ego féminin, Rrose Sélavy. Oui, l'artiste peut être une femme. Et c'est le désir (Eros) qui doit mener la vie.
Dans «La mariée, mise à nue par ses célibataires, même», machine imaginée par Duchamp entre 1915 et 1923, technique, fantasme et regard provocateur sur le statut de la femme et de l'homme se retrouvent. Et c'est peut-être le cœur de l'exposition. 

A ces propositions masculines viennent s'ajouter quelques regards de femmes. Ainsi une merveilleuse photo en noir et blanc de Louise Bourgeois prise en 1982 par Mapplethorpe. L'artiste souriante, amusée et sereine, tient l'une de ses sculptures dans les bras, comme un enfant, sa poupée. La sculpture est justement intitulée «Fillette» et représente ... un phallus surdimensionné.

La troisième étape présente la collision des genres et la multiplication des identités sexuelles possibles et des formes de vie depuis les années 60. La photo de John Lennon et Yoko Ono par Annie Leibovitz le 8 décembre 1980 illustre de façon marquante et caricaturale cette idée d'un certain besoin de recroquevillement masculin: en position de foetus, John nu s'accroche à Yoko habillée, il rêve. Quelques heures plus tard, le musicien sera assassiné.
A côté du masculin et du féminin, se profile pléthore de nuances possibles. Déjà en 1974 l'exposition «Transformer» à Lucerne s'était intéressée à la fluidité des genres. Sans oublier «Rrose is a rrose is a rrose» au Guggenheim en 1997. Le troisième chapitre du projet du Musée national s'inscrit dans cette filiation. 

L'exposition se clôt sur «l'hermaphrodite endormi», paisible moulage de plâtre qui repose au Louvre. Lui aussi semble rêver. Peut-être aux extraits des films  projetés dans la même pièce? A moins que ce ne soit aux futures expositions qui viendront compléter ce regard porté sur la fatigue de l'homme dans les arts en y ajoutant  des composantes sociales, économiques et aussi politiques.

SCZ 16/10/2020