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KETTLY MARS
NOUS OUVRE LES PORTES D'HAÏTI... EN GUERRIÈRE!
Texte: Laurence Hainault Aggeler
Kettly Mars à la Chaire de littérature et de culture française de l’EPFZ. En savoir plus
Un monde de journalistes, de professeurs de lettres, de poètes, de dramaturges, de romanciers haïtiens nous est révélé.
LA LITTÉRATURE «UN ACTE DE FOI EN LA VIE» ET UN MOYEN DE «LIBÉRER SON SOUFFLE»
Malgré la violence omniprésente aujourd’hui en Haïti, Kettly Mars refuse l’exil tant son lieu mental d’origine lui reste nécessaire pour écrire. Ses thèmes les plus chers: l’exploration de la société haïtienne, l’impact des catastrophes sur l’évolution des destins, la transmission de la culture vaudou.
Sa volonté: transgresser les tabous quitte à choquer les bien-pensants. Son écriture subversive la rapproche d’autres artistes et auteures contemporains qui cherchent à donner une nouvelle impulsion à la littérature haïtienne (Yanick Lahens, Évelyne Trouillot, Emmelie Prophète …) dont elle parcourt les univers durant ce semestre d’enseignement.
UN HÉRITAGE COMMUN
Kettly Mars a d’abord démontré comment le commerce triangulaire des esclaves a renforcé la spiritualité des captifs. Tous se voulaient à la hauteur d’un héritage commun et la solidarité s’en est trouvée consolidée. Ces convictions ancrées dans la culture vaudou restent d’ailleurs une source d’inspiration inépuisable chez les écrivains contemporains afrodescendants.
Pourtant Kettly Mars refuse de qualifier son dernier livre de roman vaudou (Mea culpa concernant le titre de mon article sur «L’ange du patriarche»). Ce thriller projette sa culture dans une autre lumière. Les croyances possibles cohabitent sans représenter une menace pour quiconque. La structure suit un modèle mythique, celui du héros issu d’une famille maudite et condamné à traverser une série d’épreuves. En se référant à l’inconscient collectif de la race humaine, Kettly Mars lutte ainsi contre les amalgames commerciaux qui rapprochent le vaudou de la sorcellerie et de la magie noire.
VIVRE SOUS LA TERREUR
Nous avons également découvert Marie Vieux Chauvet, une des premières écrivaines haïtiennes du début de la dictature Duvalier, correspondante de Simone de Beauvoir. Kettly Mars admire la façon dont cette romancière a su décrire les tensions entre différentes classes sociales après le départ d’une oligarchie européenne et l’ingérence des voisins américains.
Un des plus beaux romans de Kettly Mars, «Saisons sauvages», présente une femme qui perd le droit de disposer d’elle-même. L'auteure y décrypte les relations humaines passionnelles, l’importance de la fatalité, la nécessité d’accepter d’être écrasée pour faire survivre ses enfants. Ce roman intime campe parfaitement la situation des femmes soumises à la terreur de la dictature, humiliées par le pouvoir. Il remplit son devoir de mémoire.
RÉINVENTER LA LIBERTÉ
Puis vint le chef-d'œuvre d’Évelyne Trouillot, «Rosalie l’infâme». Basé sur les recherches de l’oncle de l’écrivaine, ce livre aborde la vie quotidienne des colonies avec une imagination puissante véhiculée par une langue poétique. La beauté intérieure de la nature humaine y est valorisée, quelles que soient les circonstances. Les meurtris réinventent la liberté. Un des personnages, la Grande Charlotte, évoque la mémoire du pays d’origine, la honte d’avoir été neutralisée par l’esclavage pour devenir un outil de travail, mais aussi cette résistance qui augmente.
Ce roman d’une cruauté insoutenable est un acte politique. Il décrit le paradoxe d’un système qui ne rendait personne heureux, la nécessité de partager l’histoire sans dramatiser, mais sans rien cacher, le besoin d’une prise de conscience pour combattre le racisme.
UNE MANIÈRE «JUSTE» POUR DÉCONSTRUIRE
Surgissent alors de nombreuses questions sur la pensée «décoloniale», et la manière «juste» de déconstruire les images, de garder un contenu positif en respectant les courants divergents. A n’en pas douter, les séances qui restent vont poursuivre l’exploration. Kettly Mars porte des turbans dont la couleur vive change au fil des semaines. Ses boucles d’oreilles fantaisie encadrent un visage expressif. Son sourire immense crève l’écran. Toutefois sous l’aspect sympathique, voire séducteur, le discours rigoureux à l'extrême révèle sa détermination redoutable. Kettly est une guerrière.
(Pour accéder au podcast qui diffuse les conférences enregistrées, écrire à )
L.H.A. 11/2020
