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«LA PETITE DANSEUSE DE QUATORZE ANS»

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UNE STATUE DÉRANGEANTE

Texte: Laurence Hainault Aggeler


«La petite danseuse de quatorze ans», de   Camille Laurens

«À la mort de Degas, en 1917, on trouva dans son atelier 150 sculptures en cire ou en terre. Du vivant de l'artiste, l'ensemble était demeuré à peu près inconnu du public, à l'exception de la «Danseuse de 14 ans», que Degas montra à l'exposition impressionniste de 1881.[…] Elle révèle un Degas presque anthropologue ou naturaliste.[…] Les critiques ne s'y trompèrent pas: l'œuvre fut violemment accusée de représenter la fillette de façon bestiale.[…] Degas poussait ainsi à bout la logique du réalisme, si en vogue par ailleurs, en dépeignant sans fard ni hypocrisie, de manière quasi scientifique, la société de son temps».(Présentation sur le site du Musée d’Orsay. Paris)

L'un des livres dont nous parlerons le 15 juin dans le cadre de notre rencontre: Les livres qu'on M à la librairie mille et deux feuilles.


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L’OEUVRE SCANDALEUSE
Sans doute connaissez-vous la statue de Degas, une drôle de fillette en cire habillée d’un tutu, placée en position dite de repos, les bras derrière le dos, le nez relevé. Son visage jeune est sombre, tendu de fatigue, sans beauté, bien que très touchant. À l’époque de sa réalisation, l’œuvre d’art fut longuement attendue pour être exposée dans une cage de verre, au Salon des Indépendants où elle déclencha un véritable scandale. Sa création marquait un tournant hyperréaliste. Elle fut conspuée, pire encore l’enfant elle-même fut méprisée par un public bourgeois dont la figure du démuni exploité, n’inspirait aucune pitié.

VÉRITABLE MALTRAITANCE
Camille Laurens décrit la vie minuscule de ces filles du peuple, livrées très jeunes au maître de ballet de l’Opéra qui les maltraitait sans état d’âme 10 heures par jour. Leur espoir: devenir danseuse étoile. Mais leurs maigres salaires permettaient seulement à leurs familles de survivre quand elles ne devaient pas ajouter un autre travail pour finir dans la prostitution.

UN MESSAGE SOCIAL
Très souvent, les petits rats de l’Opéra sont représentés de façon poétique et rêveuse. Au XIXe siècle, ce furent des êtres misérables, torturés par leurs employeurs. Degas a multiplié les statuettes, dérangeantes et résolument modernes, gardant au fond de son atelier les modèles réitérés sans vouloir les soumettre à la vindicte des critiques. On le connaît comme observateur assidu de ces ballerines en tutus nimbées de lumière, s’étirant avec grâce dans une atmosphère vaporeuse. La sculpture transmet un tout autre message social. Le peintre énigmatique «seul, intransigeant, sarcastique, tendre rarement» a dénoncé les mœurs de son époque.

DE L'ENQUÊTE À LA RÉHABILITATION
L’écrivaine, partie sur les traces ténues de Marie van Goethem, a enquêté dans les archives pour exhumer les documents. Son récit hésite entre hier et aujourd’hui jusqu’à trouver des résonances dans sa propre vie. Ce livre est une réhabilitation, comme un hommage envers celle qui servit de modèle.

Une autre version en bronze de la petite danseuse vous attend au Musée des Beaux-Arts de Zurich (Collection Bührle).
Lisez ce roman, vous ne la regarderez plus de la même façon.

L.H.A 05/2023