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VINGT DIEUX
Un film sur la jeunesse, dans le Jura français
Totone et sa bandePremiers baisers
Totone et ses deux copains qui vont l'aider à fabriquer du bon fromage
Totone et sa première meule
Totone et sa petite soeur Claire
BRASSER (LE FROMAGE) ET EMBRASSER (LA VIE)
Texte: Valérie Valkanap
VINGT DIEUX, un film de Louise Courvoisier (F., 2024, 92')
Sur les écrans suisses alémaniques à compter du 17 avril prochain (Lunchkino dès le 10 avril).
Avec:
Clément Faveau – Totone
Luna Garret – Claire
Mathis Bernard – Jean-Yves
Dimitry Baudry – Francis
Maïwène Barthelemy – Marie-Lise
Armand Sancey Richard – Cyril
Lucas Marillier – Pierrick
Isabelle Courajeot – Nadine
Prix de la jeunesse dans la catégorie Un Certain Regard au festival de Cannes 2024.
TOUT EST RÉUSSI dans ce premier film de Louise Courvoisier, née dans le Jura français en 1994: les acteurs - tous non professionnels - à l’authenticité renversante, l’intensité dramatique de l’histoire, et aussi les images et le son, fignolés par d’autres Courvoisier. Il nous invite à une immersion en milieu agricole telle que la jeune cinéaste, qui en est issue, l’a vécu. Cela commence fort. Totone (Clément Faveau, 18 ans, qui travaille en vrai dans un élevage de volailles) se saoule la gueule et fait ensuite un striptease, poussé par des copains moqueurs. Serait-ce là sa seule façon de trouver une place dans le groupe? Il souffre en tout cas d’un manque flagrant de considération, carence en partie héritée de son père, ouvrier fromager et soulographe notoire. Ce qu’on pressentait ne tarde pas à arriver et Totone se retrouve sans un sou à devoir s’occuper de sa petite sœur Claire, 7 ans (Luna Garret, qui crève l’écran). Parce qu’il lui faut bien gagner de quoi vivre, il trouve un emploi subalterne dans une fromagerie où, là aussi, il encaisse le mépris des autres («lui, c’est la femme de ménage», dit un collègue). Totone peut-il tomber plus bas?
UN RÉCIT INITIATIQUE. « J’suis qu’une merde » confie Totone à Marie-Lise (Maïwène Barthélémy, en BTS agricole dans la vraie vie, incarnant le contraire d’une fragile et séduisante créature). Elle s’occupe des vaches tous les jours de 5h à 22h, sans jamais de vacances, alors elle n’a pas le temps de s’apitoyer ni sur elle, ni sur les autres. «Tu vas arrêter de chialer, oui» rétorque-t-elle. L’intérêt qu’elle lui porte ne va pas tarder à regonfler notre attachant héros. Et parce qu’il y a une jeune femme au bout de la caméra, on sent avec plaisir souffler une promesse de vent nouveau. Finies, les scènes d’amour façon porno où monsieur n’a qu’à se déculotter pour que madame gémisse. «C’est pas parce que toi, tu peux pas, que moi, je peux pas» lui lance-t-elle. Tout aurait tendance à s’arranger s’il ne prenait à Totone l’idée de gagner des sous dans un concours de fromage (il vise naïvement les 30'000 euros de la médaille d’or). Mais, comme pour le sexe, il n’a aucune idée de comment s’y prendre et c’est bien là le problème.
UN VRAI THRILLER FROMAGER. Le garçon, aidé par deux bons copains, retrousse ses manches pour brasser un lait volé (du bon, à partir de vaches ayant brouté des fleurs au pré). On suit, le cœur palpitant, les différentes étapes de fabrication tandis que la bande-son fait entendre «She had kisses sweeter than wine». On se désole avec eux quand, vingt dieux! ça rate. Ça marche rarement la première fois, mais est-ce une raison pour abandonner? Bien sûr que non, alors on se remet à y croire. La petite sœur aide à sa façon, de tout son cœur. Une vache accouche entre deux. On craint le pire quand, venus pour collecter le lait, les frères de Marie-Lise débarquent. On a quitté l’enfance mais «La Guerre des boutons» (d’Yves Robert, 1962) ou «Mein Name ist Eugen» (de Michael Steiner, 2005) ne sont pas loin. A la fin, à force d’obstination, Totone obtient une meule qui ne sert pas à grand-chose. On ne dit pas ce qu’il en fera mais on en est encore tout attendri.
Louise Courvoisier, retenez bien son nom, une grande cinéaste en devenir. (V.V. 11.04.2025)
Publié le 12 avril 2025