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CONFIDENTE

jonone1 280Ce qu'elle entend la glace d'effroi...

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jonone3 280Pause devant la télévision vantant la lutte contre la corruption
Confidente le patron prête son téléphone portable à la plus méritante 280
Le patron prête son téléphone portable à la plus méritante



LIBÉRER LES FEMMES ET LES HOMMES DE LEURS ENFERMEMENTS RESPECTIFS

Texte: Valérie Valkanap


Un film de Cağla Zencirci & Guillaume Giovanetti (Turquie, 76 mn, 2024)

Sur les écrans suisses alémaniques à partir du 13 août 2025


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UN ART CONSOMMÉ DE LA MISE EN SCENE ET DU HUIS CLOS, c’est ce dont font preuve les réalisateurs avec ce film qui ne montre ni la violence, ni la calamité, mais nous les laisse imaginer grâce à un habile hors-champ visuel et sonore. Nous sommes en 1999 et Arzu (Saadet Işıl Aksoy) travaille dans un call-center érotique dans la banlieue d’Ankara. C’est une employée modèle qui mime à la perfection les domina et tout ce qu’on attend d’elle. Pour mieux servir ses clients, elle prend des notes sur leurs habitudes ou sur ce qu’elle peut glaner de leur vie privée. Soudain, une secousse tellurique coupe le courant. Quand il revient, elle apprend à la télé qu’un tremblement de terre a ravagé Istambul. Un adolescent enfoui sous les décombres l’appelle à l’aide au téléphone. Dès lors, la valeureuse jeune femme entreprendra tout ce qu’elle pourra pour maintenir en lui l’espoir. Elle ira jusqu’à se mettre involontairement en danger, et cela sans quitter son poste (de toute façon elle est handicapée et ne se déplace qu’avec des béquilles). Au fur et à mesure que l’action progresse, le rythme s’accélère et le spectateur, qui n’en croit pas ses oreilles, se retrouve prisonnier du suspens. Un véritable tour de force.

A QUI POUVONS-NOUS FAIRE CONFIANCE? s’interroge Arzu (un pseudo qui signifie désir en turc). De son mari, duquel elle veut divorcer et obtenir la garde de leur fils, à son patron, qui lui fait des avances appuyées, en passant par ses interlocuteurs téléphoniques menaçants, tous sont des hommes puissants qui cherchent à la soumettre. Mais Arzu est une femme de tête. Face aux menaces croissantes, elle se révèle aussi ingénieuse que courageuse et déterminée. A l’écran, on ne voit que son visage stupéfié et ses yeux arrondis de frayeur et on entend sa voix trembler. A l’autre bout du combiné se dessine un monde de violence, de débauche et de corruption qui fait froid dans le dos. Qu’importe, malgré la peur qui la tenaille, elle a fait une promesse au gamin enfoui sous la terre et la tient. Bien sûr il y a des pauses, avec les collègues opératrices par exemple (toutes actrices non professionnelles) et le film est loin d’être dénué d’humour.

TOUT LE MONDE N’A PAS LE COURAGE D’ÊTRE SOI comme Arzu. C’est pourquoi, pour puiser des forces, il faut prendre au sérieux son manifeste final, celui qu’elle adresse aussi bien au garçon sous les décombres qu’au procureur censé être un modèle d’intégrité, les deux logés au fond de combinés qu’elle a posés côte à côte. Les personnages qui défilent tour à tour au téléphone se révèlent plus complexes qu’on ne le croit. Il vaut la peine de bien tendre l’oreille. Son plus fidèle client n’avait-il un rêve? Il voulait écrire des scénarios, il les lui racontait et c’était de beaux moments de connivence partagée. Voilà où il faut aller chercher sa force. En soi et non au détriment de l’autre. On loue le grand travail accompli sur le son pour qu’on puisse non seulement distinguer les voix les unes des autres, mais aussi deviner leur contexte. A la fin, seule face à la caméra d’un journaliste, Arzu fixe droit dans les yeux les téléspectateurs. Qui sont-ils pour la juger? Puis, avec le générique, vient une chanson de Clara Yse. «Si tu savais la haine qui coule dans mes veines, tu aurais peur, tu aurais peur…» fredonne-t-elle.

Une fiction à haute et noble portée.

V.V. 16.07.25

Publié le 20 juillet 2025