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PORTRAIT DU MONDE PAYSAN

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 Un premier roman vraiment réussi!

Marion Fayolle Aus gleichem Holz


SOBRE, JUSTE, SANS FILTRE

Texte:  Laurence Hainault Aggeler


«Du même bois» de Marion Fayolle, collection blanche, Gallimard, 2024

«Aus gleichem Holz», Atlantis, 2025, traduit en allemand par Ruth Gantert, traductrice littéraire à Zurich. 



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Dans cette première fiction très courte, Marion Fayolle garde l’écriture sobre et lapidaire de ses romans graphiques. Elle emploie la langue parlée, enchaîne les phrases simples, les projette dans son enfance, celle d’un monde paysan aux paroles sans filtre, collées à la réalité.

LE DÉCOR
«La bâtisse de la ferme s’étend tout en longueur, le côté gauche pour les jeunes, le droit pour les vieux et l’étable au milieu». Quand l’un des deux vieux meurt, les enfants sont à l’autre bout. «… ça rassure, évite la solitude». Et les enfants devront être forts «… s’ils trouvent un jour leur mémé inerte». Dans cet univers, la sensibilité ne s’exprime pas avec des mots, les gestes suffisent et le courage importe avant tout.

LA GAMINE
Elle ne voulait pas naître, on a dû la sortir aux forceps. Puis elle a donné l’impression de ne pas vouloir vivre. Elle décortiquait la nourriture dans son assiette; pourtant la viande correspond au travail de toute une vie à la ferme. La donner est un signe d’amour, mais elle la refusait. Comme les autres petits, la gamine a recueilli de ceux qui l’ont précédée «des bouquets d’histoires, de silences, d’émotions, de gènes, de cellules». Elle est faite «du même bois». Pourquoi veut-elle maintenant se réinventer?

LA VIE QUI PASSE
La gamine cache ses fêlures pour ne contrarier personne. Elle se tait, écoute les parents angoissés par les rêves des enfants qui veulent vivre en ville, loin de la neige et surtout de la ferme ardéchoise. Elle observe l’orphelin dont l’imagination galope. Adulte, il reviendra s’asseoir à la table où l’attend un immense repas. Ne faut-il pas corriger l’injustice? Elle se promène dans les paysages, contemple l’arbre seul dans la plaine, la silhouette du pépé parti très tôt le matin relever ses pièges ...

LES BÊTES
La gamine connaît bien l’odeur des bêtes, car la porte de la chambre parentale donne sur l’étable; la nuit, elle a souvent entendu le bruit des chaînes quand les vaches se grattent ou envoient leur jet d’urine sur les grilles. Mais sa bête intérieure est moins docile, impossible à caresser, effrayante et il faudra apprendre à la supporter.

AU JOUR LE JOUR
La gamine grandit: elle observe ceux qui font l’amour en cachette dans la forêt, le beau-frère entiché d’une poule à laquelle il fait la conversation, les joueurs de cartes désœuvrés quand la neige tombe et sa mère qui nettoie les tombes, redresse la croix du grand-oncle renversée par le vent.

LES ÉMOTIONS
Plus grande, la gamine tombera amoureuse folle d’un dresseur de chevaux. Elle criera son coup de foudre malgré la rudesse du garçon, mais veillera à ne pas trop s’accrocher afin que tout puisse continuer. Et si l’équilibre est mis en péril, l’essentiel demeure intact. A vous de voir comment en lisant «Du même bois». Parler davantage de ce livre risquerait de l’abimer.
L.H.A 08/2025

Publié le 11 août 2025