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EMMANUEL MOUNIER, JEAN FRAISSE, JEAN-MARIE DOMENACH, PAUL RICOEUR...

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«Un monastère de culture», un lieu de pensée et de recueillement, où ils réfléchiront et agiront ensemble à la résolution des grands problèmes du monde...

Mais Les Murs Blancs, ce sont aussi des fous rires! Et quelques drames...

 


UN LIEU DE VIE COMMUNAUTAIRE

Texte: Sandrine Charlot Zinsli


Six familles suivent Emmanuel Mounier et s'installent dans une grande propriété près de Paris, à Châtenay-Malabry. C'est juste après la seconde guerre mondiale que ce laboratoire voit le jour et il durera plusieurs décennies...

Léa et Hugo Domenach sont les petits enfants de Jean-Marie Domenach et Nicole Domenach, dite Mamita. Ils restituent dans ce livre l'aventure humaine et intellectuelle des Murs Blancs. Et apprennent à mieux connaître leur grand-père...

Ici des archives en images: https://www.youtube.com/watch?v=_jGtGWXlieU&t=15s

Le livre peut par exemple être acheté à la librairie mille et deux feuilles à Zurich.


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AUTOUR D'EMMANUEL MOUNIER
C'est une bâtisse jaune à tourelles et à colombages, à quelques kilomètres de Paris. Avec une maison de gardien, des arbres centenaires, un verger nourricier, la propriété de Châtenay-Malabry abrite dès 1946 quatre familles autour du philosophe Emmanuel Mounier. Les familles d'Henri Marrou, Paul Fraisse et, Jean-Marie Domenach, tous collaborateurs de la revue Esprit fondée par Emmanuel Mounier dans les années 30, y disposent d'un appartement particulier et partagent le parc, une salle de réunion, une buanderie, une bibliothèque. Hormi la personnalité fédératrice d'Emmanuel Mounier, ce qui les rapproche, c'est leur passé de résistants et leur foi catholique. En 1947 Jean Baboulène et les siens les rejoignent. Une dizaine d'années plus tard, Paul Ricoeur et sa famille s'y installent. Le philosophe y vivra jusqu'à sa mort.

UNE ENQUÊTE PERSONNELLE
C'est au moment où Léa et Hugo Domenach, les représentants de la troisième génération des habitants des Murs blancs, constatent avec effroi que leur grand-mère a la mémoire qui flanche, qu'ils décident de se lancer dans une enquête personnelle pour retrouver le plus de témoignages possibles sur ce lieu hors du commun, mais dont ils ne savent finalement pas grand-chose. Leur enquête dure une dizaine d'années. Aux souvenirs d'enfance viennent s'ajouter des écrits, des témoignages, des documents, heureusement nombreux.
Ainsi ce qu'ils connaissent  d'Emmanuel Mounier, mort brutalement en 1950 à 46 ans, c'est notamment ce qu'ils lisent dans la biographie un rien «hagiographique» que lui a consacré leur grand-père, Jean-Marie Domenach: «A l'âge où les jeunes adultes se conforment au monde, Mounier décide, lui, que c'est le monde qui doit changer». Le projet des Murs blancs s'inscrit dans cette volonté de reconstruire une société nouvelle.

C'est UNE COMMUNAUTÉ OUVERTE sur l'extérieur. Aux conférences qui sont organisées le dimanche après-midi, s'ajoutent les passages fréquents d'une multitude d'intellectuels de l'époque, de Michel Crozier à Alfred Grosser en passant par Jacques Julliard, Chris Marker, Jacques Delors, Jorge Semprun, sans oublier des hommes politiques comme François Mitterrand puis Emmanuel Macron au tout début du 21ème siècle, alors qu'il est encore étudiant.

UBUESQUE
Une constitution «murblanquiste» est signée en décembre 1946 par les familles. Elle prouve que la bande de copains n'est pas dépourvue d'auto-dérision. Ainsi le préambule précise: «Les Murs Blancs ne sont pas rien. Les Murs Blancs ne sont pas tout. Les Murs Blancs sont, c'est tout. Et c'est déjà beaucoup.» Le premier article indique qu'«il n'y a ni propriétaires, ni locataires, ni oppresseurs, ni opprimés. Les Murs Blancs ne sont pas une propriété. Cette impropriété est collective.» Et les enfants des membres de la collectivité appellent les adultes des autres familles «oncle» et «tante». E. Mounier pensait ainsi renforcer les liens entre les habitants pour qu'ils se considèrent comme ... une grande famille. En 1957, Les Murs Blancs comptent une vingtaine d'enfants. Ceux-ci créent un peu plus tard une association des enfants des murs blancs. En singeant les adultes, ils organisent eux aussi des conférences et publient un journal!

LES COMBATS
Favorables à une construction européenne, pointant très tôt les dangers des totalitarismes, les habitants des Murs Blancs sont tous également clairement engagés pour l'indépendance de l'Algérie et contre la torture. Leurs prises de position publiques ne sont pas sans danger. Les menaces se multiplient, les perquisitions aussi. Les habitants des Murs Blancs en sont conscients, ils en viennent même à organiser leur propre protection.

Quelques années plus tard, en 1968, en revanche, ce n'est plus la première génération qui est en phase avec le temps. Les parents sont complétement dépassés et ce sont leurs enfants qui s'investiront dans les mouvements de libération des années 70.

Finalement ce sont les difficultés relationnelles, quelques drames familiaux et la disparition des fondateurs qui auront raison de ce projet communautaire fascinant.

A l'heure où la société s'interroge sur sa capacité à vivre ensemble et où, à titre individuel, nous aspirons à plus de communauté, cette expérience utopique nous montre  une voie intéressante autour d'un grand verger et d'un parc!

Publié le 22/03/2021