→ LIVRES/IDÉES

«TOUTES LES VIES DE THÉO»

jonone1 280

 

 


UN COUPLE DANS L'HISTOIRE

Texte: Laurence Hainault Aggeler


«Toutes les vies de Théo» de Nathalie Azoulai est sorti chez P.O.L. en janvier 2025. C'est son treizième roman.

C'est l'un des livres présentés en librairie dans le cadre de notre rencontre: «Les livres qu'on M: La littérature d'idées» le mardi 11 février 2025.

«Épouser une juive, mais c’est insensé d’aimer le risque à ce point!»
Un des sujets les plus sensibles aujourd'hui n’est-il pas l'antagonisme entre juifs et Arabes, lié à la guerre entre Israël et le Hamas? Mettre en scène les souffrances des uns et des autres sans prendre parti, voilà bien le genre de défi impossible à relever. Et pourtant, Nathalie Azoulai a osé. Son roman virevolte autour des thèmes de la judéité, de l’antisémitisme, de la violence du conflit israélo-palestinien avec par endroits cet humour terrible pour dénoncer les excès.


→ PRINT


ASPHYXIÉ PAR LE POIDS DE LA SHOAH
Théo Ravier, écrivain d’Histoire de l’art reconnu, Professeur d’université est le fils de Marie Meyer, dont la moitié allemande est rongée par la culpabilité du nazisme. Théo la regarde passer «l'Histoire au tamis depuis des décennies, en attraper les scories, les regarder rouler pour s’en faire des colliers». Incapable de se pardonner le mal que son pays a fait aux Juifs, elle éprouve un vrai besoin d’expier.

COUPLE MIXTE EN HARMONIE
Marie s’avoue ravie quand son fils catholique épouse Léa Woks, juive d’origine polonaise, membre du clan très solidaire des rescapés de la Shoah. Théo se plie à leurs rituels et adhère à leurs convictions. Intermédiaire intelligent et altruiste, il restera d’ailleurs tout au long du livre le bon témoin au point de vue médian. Léa est très amoureuse de son «Mensch», Théo l’adore et le couple mixte vit en harmonie malgré les différences culturelles et religieuses. Ils s’expriment sans parti pris, libérés des contraintes de leurs traditions tout en les respectant. Leur fille Noémie naîtra en toute laïcité dans la plus parfaite entente conjugale et familiale.

DE L'OBSESSION À LA RUPTURE
Mais le 7 octobre 2023, jour de l'anniversaire de Théo, a lieu ce massacre si tristement célèbre. Léa annule la fête et se fige. Les cartes sont redistribuées. Tout se déglingue. L’Histoire la prend par le col et la plonge dans une angoisse incompressible. Nathalie Azoulai décrit avec talent cette autodestruction psychologique consécutive à la remontée des terreurs enfouies et au constat de son impuissance. Le couple vit au rythme de la guerre entre Israël et le Hamas sans jamais discuter d’autre chose. Malgré son désir de l’accompagner, Théo souffre d’un manque d’oxygène. Comme Rose, la sœur de Léa, il refuse que ce conflit lui vole son âme à soutenir «Un peuple qui ne parle que de lui ne pense qu'à lui» même s'il a raison d’avoir peur … «Plus on réagit à la haine, plus on l'attise, plus c'est sans issue» déclare Théo en perdant ses forces devant le paradoxe. La relation se délite, puis vient la rupture.

RÉSURRECTION
Dans une deuxième partie, Théo rencontre Maya, une belle peintre libanaise très enjouée, trop jeune pour lui. Il a besoin de revivre loin du drame en partageant ses passions artistiques Enfin, à 50 ans, qui résisterait aux frissons des émotions intenses? S’ensuivent un portrait de ses errances affectives, une satire du milieu frelaté des galeries d’art et de leurs mondanités, le récit d'une visite dans Beyrouth en ruines, une ville arabe à laquelle Maya reste discrètement fidèle. Comme on pouvait le prévoir, la belle finira par tomber amoureuse d'un homme de son âge. Le plus de trop veut qu'il soit juif.

MISE EN SCÈNE DE LA COMPLEXITÉ
Alors que la première partie du roman jouait sur les nuances, le récit dérape dans la facilité du gros trait. Mais la mise en scène de cette double relation a le mérite de bien poser les questions graves sur le rapport de force douloureux entre les idéologies, le poids insupportable de la mémoire historique, le rôle difficile de la transmission et les dérives psychologiques d’individus tombés en sidération.

UN PUR ROMAN D'IDÉES
Nathalie Azoulai a su traiter un sujet qui fâche. Sa fiction ménage le suspense et garantit le plaisir de lire. Toutefois le narratif simplissime du dernier tiers contraste avec la finesse de l’analyse sociétale et psychologique du début. Reste que ce pur roman d’idées est ancré dans notre actualité et donne quelques clefs de lecture à qui veut comprendre les retombées émotionnelles du conflit israélo-palestinien dans les deux communautés françaises.
L.H.A 03/2025

Publié le 23 mars 2025_ scz