→ SCÈNES
TOM À LA FERME
Sébastien Pruvost et Marie Burkhardt - Photo Pascal Sigrist
Amandine Favier et Axel Arnault
L'IMPUISSANCE MONTRÉE DE MANIÈRE PUISSANTE
Texte: Fedora Saccà
Auteur: Michel Marc Bouchard
Mise en scène: Olivier Sanquer
Comédiens: Axel Arnault, Marie Burkhardt, Amandine Favier, Sébastien Pruvost
Scénographie et costumes: Nacéo
Vu le 12 avril au Theater Stok
Dans le cadre du programme «Quel théâtre!? – Critique théâtrale» de l'Université de Zurich
Fedora Saccà étudie au Romanisches Seminar de l'Université de Zurich.
La pièce est présente au festival d'Avignon cet été.
Lors du cycle de théâtre «International In-Year-Face» du 9 au 13 avril 2025 au théâtre Stok à Zurich, j’ai eu le plaisir d’assister à la représentation de Tom à la ferme réalisée par le collectif Nacéo, pièce dans laquelle Tom, un jeune publicitaire, se rend de la capitale québécoise en province pour les funérailles de son amant décédé dans un accident de la route. C’est sur une ferme laitière et isolée qu’il rencontre pour la première fois la mère du défunt, Agathe, qui n’a aucune idée de qui il est ni de ce qu’il a vécu avec son fils. Tom découvre alors l’autre réalité fabriquée par son amant défunt dont le nom n’est jamais prononcé. Pour ne pas décevoir sa mère, le frère du défunt, Francis, contraint Tom par la menace et les coups à participer à une supercherie pour cacher l’homosexualité de son petit frère.
DE NOMBREUX PRIX
Créé au Théâtre d’Aujourd’hui à Montréal en 2011, Tom à la ferme est lauréat du Prix de la dramaturgie francophone 2011 de la SACD de Paris. En 2013, la pièce fait l’objet d’une adaptation au cinéma par Xavier Dolan, coscénarisée par Bouchard, qui a gagné le Prix de la critique internationale à la Mostra de Venise.
OBJETS SYMBOLIQUES
Dans la mise en scène réalisée par Olivier Sanquer, la pièce brille par un décor dépouillé avec uniquement deux palettes et quatre chaises. Le regard est alors attiré par les quelques objets symboliques utilisés par les personnages, un crucifix veillant silencieusement sur le déroulement de l’histoire, pesant chaque mot et chaque geste des personnages dans une atmosphère lugubre truffée d’éléments sonores qui font resurgir de l’inertie imposée par la croix.
DÉCHIREMENTS
Dans la scène d’ouverture, Tom, incarné par un Sébastien Pruvost bouleversant, apparaît avec une expression vide au visage, une corde dans la main, insinuant la transformation radicale par laquelle le personnage principal passera – malgré lui? – de victime à bourreau.
On observe le même contraste inverse par Francis, joué par un Axel Arnault captivant, tenant, dans un geste de désespoir vertigineux, un haut de femme rouge entre les mains, faisant allusion au déchirement intérieur du personnage qui bouscule entre pulsions interdites et abnégation catégorique. Pendant toute la pièce, le personnage de Francis semble être déchiré à la mesure de l’évènement qui a profondément secoué la famille.
SURMONTER LE DEUIL
La mère de Francis et du défunt, Agathe, incarnée par une Marie Burkhardt sublime, tient une boîte de souliers entre les mains contenant la vérité sur son fils défunt, vérité douloureuse car elle est à l’origine des mensonges et des malheurs que ses fils ont dû subir.
Agathe, personnage aux multiples visages, apparaît apathique et confuse à un moment et extrêmement perspicace et impitoyable à un autre; elle est d’une froideur glaciale envers son fils et d’une chaleur maternelle envers Tom.
Enfin, Amandine Favier incarne Sara, la collègue de travail de Tom, «bandante» selon Francis, indésirable selon Tom, qui est censée jouer la fausse amante du défunt, anglophone, surnommée Ellen par Francis. Dans la première scène, Sara tient une bouteille d’alcool dans la main et a le regard égaré et aliéné, comme si elle ne faisait pas fonction de personnage à part entière, mais plutôt de moyen de parvenir aux fins des trois personnages principaux qui cherchent tous à surmonter le deuil provoqué par la mort du fils cadet, du petit frère, du «camarade» bien aimé.
POLYPHONIE
La troupe parvient à emporter le public dans une histoire sombre et perturbante qui laisse un après-goût amer suite à une fin imprévue. Les acteurs incarnent leurs personnages chacun dans une couleur différente, créant ainsi une histoire polyphonique qui raconte le deuil, l’absence, le mensonge, la solitude dans un spectre entre rage et impuissance. Même dans cette ambiance violente et morbide, les acteurs réussissent à faire rire le public en créant des moments de détente où ils jouent avec l’ironie, le sarcasme et le quid pro quo. Un coup de cœur assuré, visite très recommandée!
Publié le 8 mai 2025