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«PENSER CONTRE SOI-MÊME»

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OÙ CHERCHER LE SENS DE LA VIE?

Texte: Laurence Hainault Aggeler


«Penser contre soi-même» de Nathan Devers

«Je suis le Nathan qui s’est construit en divorçant de tout ce qu’il était. Celui qui décida de s’appeler Devers. De-vers. De-puis l’absence et vers elle.  Entre-temps, une drôle d’exploration …»


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La remise en question de vos convictions intimes vous semble-t-elle nécessaire? Ouvrez ce livre immédiatement, car le dernier essai de Nathan Devers offre «un bouquet de projets divergents, d’inspirations multiples et de passions mobiles».
Mais l’auteur nous prévient: «Le bonheur peut valoir davantage que la clairvoyance». Le «saut intérieur» n’est pas exempt de risques.

NATHAN DEVERS SAIT DE QUOI IL PARLE
Au terme d’une adolescence épanouie et très croyante, le jeune homme abandonna sa vocation de rabbin. Pourquoi donc? Il se trouvait incapable de composer. Et Nathan Devers refuse toujours les conforts mentaux de ceux qui pratiquent le judaïsme par automatisme ou désir mimétique. Selon lui la religion est une liaison avec Dieu impliquant de s’y engager de tout son cœur. Sinon, mieux vaut chercher autrement le sens de la vie. Grâce aux philosophes par exemple.

UNE «AUTO BIOFICTION» HORS NORMES
Au cours du récit de ce cheminement spirituel, Nathan brosse quelques portraits percutants de ses formateurs: un père «arc-bouté sur son exigence d’humaine lucidité», une mère «mue par l’obsession que ses actions soient vraies». Il parle aussi de rencontres déterminantes comme celle du guide-marcheur lors d’un voyage religieux en Israël, «un homme debout entre les œuvres de la nature et celle de l’esprit». La fluidité de l’écriture fait rebondir les commentaires. Les pages se tournent sans effort.

DU COLLÉGIEN AMOUREUX AU BRETTEUR PASSIONNÉ
En outre Nathan Devers n’est pas dépourvu d’humour quand il revient sur sa jeunesse, avec «ce râteau qui lui a permis de goûter la saveur délicieuse de ne pas être aimé, de conserver l’arôme des sentiments gratuits et déversés en vain». Il sait décrire avec naturel et tendresse les copains du collège laïque d’Auteuil, ses profs et ses cours, les habitués de la synagogue, hommes vieillissants et querelleurs, fins rhétoriciens. Avec eux, des centaines de pages sont mémorisées pour mieux fonder les arguments puis les exposer en public. L’auteur démontre avec brio comment cette formation ajoute une joie à la rigueur intellectuelle.

UN VIRAGE S'AMORCE
Nathan choisit de continuer ses études à l’école judaïque où l’étroitesse d’esprit des orthodoxes et leurs contraintes inutiles heurtent les principes sacro-saints de liberté et de tolérance sur lesquels le jeune homme avait construit son existence jusqu’alors. Un beau jour il découvre l’Ecclésiaste et la prière d’un homme qui a manqué son Dieu l’interroge à l’intérieur de lui-même, le conduit à la courageuse rupture.

LA QUÊTE PHILOSOPHIQUE
Commence alors une démarche méticuleuse. Nathan navigue entre les langages, les systèmes, les doctrines et attend que brille la «lumière d’étincelles» à laquelle Platon compare l’Esprit philosophique. Il s’engage enfin sans hésitation sur la voie du scepticisme, la philosophie de la perplexité. Émaillée de références laborieuses malgré l’envolée du style, à ce moment du livre la pensée tourne en roue libre et noie le lecteur dans les contradictions. Mais soudain le philosophe devient «celui qui répond quand l’illusion s’enraye et que disparaissent les conditionnements physiques, culturels, historiques, idéologiques». Suit alors une proposition: se diviser, voire se disloquer pour se redécouvrir.

PENSER CONTRE SOI-MÊME
«Cet idéal ne constitue pas seulement la méthode d’une recherche intellectuelle, mais fournit les fondements d’une éthique minimale ouverte sur l’altérité». Altérité des points de vue, des perspectives plurielles, des systèmes de valeurs, des façons de penser… même à l’intérieur de soi. François Jullien parlait de «se dé-coïncider» pour comprendre l’autre. Quel projet de magnifique envergure!     
    
LAH 04/2024

Publié le 20 avril 2024