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DANS LE CADRE DE L'EXPOSITION DE L'ARTISTE STEPHAN BALKENHOL À LA GALERIE MAI 36
Stephan Balkenhol, "Aphrodite Bronzetto", 2016, sculpture en bois d'abachi, 160 x 29.5 x 40cm (© Stephan Balkenhol / Mai 36 Galerie, Zurich)
"Aphrodite accroupie", Ier - IIe siècle après J.-C., sculpture romaine en marbre, Musée du Louvre (© Musée du Louvre / Daniel Lebée et Carine Deambrosis, 2006)
Vénus dite "de Lely": "Aphrodite surprise au bain", IIe siècle après J.-C., sculpture romaine en marbre, The British Museum (© The British Museum / Marie-Lan Nguyen, 2011)
LETTRE À APHRODITE
Texte: Pascal Sigrist
Du 11 mars au 16 avril 2016
MAI 36 GALERIE
Rämistrasse 37
8001 Zürich
Switzerland
+41 (0)44 261 68 80
www.mai36.com
Du mardi au vendredi: 11 - 18h30
Samedi: 11 - 16h
(© Bibliothèque nationale de France)
Félix Vallotton, "Persée tuant le dragon" (extrait), 1910, huile sur toile, Musée d'art et d'histoire de Genève (© MAH de Genève)
Man Ray, "Nude - Juliet in a Blond Wig", 1950-51, photographie argentique, The J. Paul Getty Museum (© Man Ray Trust ARS-
ADAGPAH / The J. Paul Getty Museum)
Zurich, le 15 mars 2016
Chère Madame,
Nous nous sommes croisés pour la première fois il y a quelques jours, dans la galerie zurichoise Mai 36, qui expose jusqu’au 16 avril 2016 des travaux récents de l’excellent sculpteur allemand Stephan Balkenhol. Vous êtes une fascinante petite statue de bois, représentant la déesse Aphrodite accroupie, sujet maintes fois repris dans l’histoire de l’art, basé sur un original grec, aujourd’hui perdu. Cet original, peut-être en bronze, date du IIIe siècle avant J.-C. et est attribué à Doidalsas de Bithynie, d’après une interprétation de la description du portique d’Octavie sur le Champ de Mars à Rome par Pline l’Ancien.
On vous a souvent figée dans cette pose, pérennisée en Aphrodite ou en Vénus dans des œuvres magnifiques de l’Antiquité, que l’on peut admirer dans des maisons prestigieuses comme le Louvre, le British Museum, les Musées du Vatican, la Galerie des Offices de Florence, le Musée National Romain ou les musées archéologiques de Naples et de Rhodes. On vous retrouve, majestueuse, comme bronze monumental d’Antoine Coysevox dans les jardins du château de Versailles, surplombant le Parterre du Nord. On vous reconnaît dans des gravures de Raimondi, des peintures de Rubens, de Cézanne, de Vallotton et de tant d’autres. Paradoxalement, vous devenez icône du mauvais goût lorsque vous êtes multipliée à outrance, que ce soit sur toile, en faïence, en terre cuite ou en plastique, décorant une multitude d’intérieurs et de jardins douteux.
Dans la version de Balkenhol, vous jouez également avec les contradictions, à la fois déesse, saisie au moment de votre toilette, versant probablement de l’eau sur votre nuque, et Madame Tout-le-Monde, héroïne de tous les jours mise sur un piédestal. Si vous me disiez que vous êtes la femme de ménage que j’entends tous les jeudis matin récurer la salle de bains de ma voisine du dessus, je vous croirais sur parole.
Sculptée de façon mystérieuse et subtile, vous changez d’aspect suivant l’angle duquel on vous observe. Vous semblez tantôt brute, inachevée, écorchée et mutilée, puis soudain infiniment sensuelle, parfaitement aboutie, ciselée avec précision et délicatesse. Travaillée dans le même bloc que votre socle, image de marque de beaucoup d’œuvres de votre auteur, vous dégagez l’illusion d’une grande puissance. L’instant d’après, notamment à la vue des copeaux de bois qui parsèment votre corps, vous paraissez délicieusement innocente, éphémère et fragile!