→ LIVRES/IDÉES
«HUMUS» DE GASPARD KOENIG
UNE ODE AUX VERS DE TERRE
Texte: Laurence Hainault Aggeler
Ce livre sera discuté dans le cadre de notre rencontre Les livres qu'on M, le choix Goncourt de la Suisse, le vendredi 27 octobre 2023 à 19h à l'ethz.
Dans le cadre de Zürich liest.
En collaboration avec la librairie mille et deux feuilles, l'ETHZ et le RoSE.
Philosophe libéral, créateur d’un think tank puis membre d’un cabinet ministériel, Gaspard Koenig a fréquenté l’élite et les dîners parisiens avant de sillonner la France et l’Europe à cheval. Une dernière expérience au plus près des habitants. Son roman «Humus» s’appuie donc sur du vécu. Cette satire percutante décrit le grand désordre qui affecte les idéalistes comme les opportunistes ou les radicaux et propose un état des lieux de notre société moribonde. Sa vision est prophétique: l’avenir passera par les sciences de la terre ou ne sera pas.
DEUX PARCOURS OPPOSÉS
Ils se sont rencontrés sur les bancs de l’école AgroParisTech. Kevin est très blond, très beau et très calme. Fils d’ouvriers agricoles, il contemple son entourage, soucieux avant tout de ne pas perdre de temps à s’impliquer. Son efficacité séduit Arthur, enfant de la bourgeoisie, trop cultivé pour garder les idées claires, mais assez perspicace pour le savoir. Contrairement à son ami, chaque engagement le passionne. Leur point commun: un désir ancré de changer le monde. Leur histoire retrace deux parcours diamétralement opposés mais où l’amitié reste indéfectible.
ODE AUX VERS DE TERRE
À la faveur d’une conférence donnée à l’université par un vieux briscard, les jeunes gens découvrent la géodrilologie (étude des vers de terre). Ils apprennent que les lombrics, première biomasse au monde indispensable à la vie des sols, sont en voie de disparition. En quelques décennies de productivisme agro-industriel, la couche d’humus constituée au cours de millions d’années d’évolution biologique s’est transformée en poussière infertile. Seuls ces petits êtres s’avèrent capables de recréer un terreau régénérateur. Les deux jeunes agronomes voient s’ouvrir un champ infini de possibles.
RETOUR À LA TERRE
Arthur se met à l’agriculture traditionnelle pour communiquer les résultats de son expérience dans une thèse sur le retour de l’animal en voie de disparition. Une manière de sauver le monde. La vieille ferme normande de son grand-père semble appropriée, avec son bout de terrain attenant. La parisienne bon chic bon genre dont il est tombé amoureux se laisse convaincre et les néoruraux du coin soutiennent bien évidemment cette tentative écologique. Malgré de beaux moments exaltés, le travail s’avère épuisant, les résultats traînent en longueur, les idéaux sont mis à rude épreuve …
CAPITALISME VERT
Kevin le pragmatique voit plus grand. Il rêve d’une production à l’échelle industrielle et crée une start-up de vermicompostage. Aidé par une camarade d’études brillante et cynique à souhait, le jeune homme lance un projet conforme aux règles du capitalisme vert. En bon transfuge de classe, il monte vite et haut, résiste aux aléas du succès vertigineux, mais soudain la machine s’emballe …
PEINTURE SOCIALE
Retracer les deux parcours permet à l’auteur de camper les archétypes : le professeur exalté, l’agriculteur affairiste, la marginale ésotérique, l’anarchiste rêveur, les grands patrons de la Silicon Valley. Un prétexte pour suivre les méandres d’une société française contrastée et dénoncer les paradoxes de notre temps.
DEUX BÉMOLS
Certes la vision des femmes est caricaturale, (Anne, la compagne d’Arthur et Philippine, l’associée de Kevin sont intéressées, vénales, manipulatrices, caractérielles) et le bouclage du récit propose une éco-révolution peu crédible. Deux points faibles. Mais le livre parvient à réunir partage de connaissances, humour grinçant sur les élites dirigeantes et entrepreneuriales, mise en perspective de solutions existantes. Un vrai tour de force.
Publié le 10 octobre 2023
