→ LIVRES/IDÉES

UNE FACON D'AIMER

jonone1 280

 

 


DE L'ENNUI DANS LES COLONIES

Texte: Laurence Hainault Aggeler


UNE FACON D’AIMER de Dominique Barbéris

«Si je parlais du séjour en Afrique de mes parents, des amis parisiens faisaient des réflexions sur la justice, sur le colonialisme; je savais pourtant qu’ils n’étaient pas riches, que c’était des «enfants de la guerre», que mon père était parti là-bas par hasard pour trouver du travail […] leur histoire n’était pas la mienne. Elle était difficile à expliquer».

Ce livre sera discuté dans le cadre de notre rencontre Les livres qu'on M, le choix Goncourt de la Suisse, le vendredi 27 octobre 2023 à 19h à l'ETHZ.

Dans le cadre de Zürich liest.

En collaboration avec la librairie mille et deux feuilles, l'ETHZ et le RoSE.


→ PRINT


QUI ÉTAIENT LES AUTRES?
À notre époque postcoloniale, la présence occidentale en Afrique est condamnée culturellement comme politiquement. Et ce à juste titre. En revanche la diabolisation de tous les colons sans exception s’avère inadéquate. Certains propriétaires profitaient de leur pouvoir, certains exploitants terrorisaient leurs employés, certains chercheurs ont pillé les trésors des lieux de culte sans aucun respect, certains religieux ont forcé brutalement les conversions. C’est indiscutable. Mais les autres, les nombreux autres qui étaient-ils?

DES INTRIGUES ET BEAUCOUP D'ENNUI
Contents d’avoir trouvé un travail un peu mieux rémunéré en quittant la métropole, nombre d’administratifs, de commerçants, de médecins, de techniciens, bref de simples citoyens de la classe moyenne partirent pour les colonies. Certes ils ne cherchaient à comprendre ni les codes ni la culture du pays où ils s’établissaient, une indifférence regrettable mais ils ne montraient aucune agressivité. «Des provinciaux avec des réflexes de provinciaux». Sans grande ambition ni perspicacité, ils s’installaient dans un climat qui les faisait souffrir et se confinait à leur ghetto francophone en écoutant les dernières chansons populaires. Ils s’ennuyaient souvent même pendant leurs fêtes, «tournaient en rond, s’observaient entre eux, se distrayaient avec des histoires de rivalité, d’avancement, de liaisons». Ils ignoraient les autochtones qui d’ailleurs les méprisaient et se moquaient d’eux.

UN PAYS REDOUTÉ
La beauté des couchers de soleil, la végétation luxuriante, ne leur échappaient pas mais tout leur faisait peur: les orages violents et «leur côté fatal quand la terre rouge refusait d’absorber la pluie». Les chants trop forts des oiseaux le soir, les moments où rodaient les animaux dangereux et ceux où les maladies contagieuses se propageaient. Ils attendaient une bonne occasion pour rentrer en France, retrouver leurs familles et un peu de fraîcheur.

UNE HÉROÎNE TOUCHANTE
Dominique Barbéris nous parle de ces colons peu glorieux, assez inoffensifs, enfermés dans un microcosme stérile et stérilisant. Elle choisit le cas du Cameroun juste avant son indépendance. Atmosphère tendue. L’héroïne s’y ennuie à mourir et ne cache pas son anxiété devant la situation politique. Provinciale réservée, elle se sent fragile dans un milieu où peut sourdre la brutalité et vit avec retenue une histoire tendre. Le séducteur décontenancé par tant de pudeur va en tomber amoureux. Mais tout restera bien sage, résigné. «Une façon d’aimer». Pourtant elle est si belle et lui tout à fait drôle et brillant. Ainsi va la vie dans les colonies.

RÉTABLIR LA RÉALITÉ
Ce ne sera peut-être pas le livre gagnant. Un peu trop convenu dans le déroulé de l’intrigue. Mais il vaut d’être lu pour remettre les pendules historiques à l’heure et découvrir qu’une grande partie des colons étaient des individus malmenés par leur époque et ses aléas… comme vous et moi.

publié le 12 octobre 2023